Algérie : Haine, violence et mensonges

En 1949, on traitait de berbéristes et de séparatistes ceux qui avaient soulevé au sein du PPA (Parti du Peuple Algérien) la question de la définition de l’identité algérienne. À cette époque-là, la population algérienne était constituée de Berbères (Kabyles, Chouias, Mozabites, Touaregs, etc), de Français, d’Arabes et de Juifs. La direction du parti, à sa tête Messali Hadj, définissait l’Algérie comme étant un pays arabe et musulman et faisait abstraction de tout le reste.

Finalement, il s’agissait d’une crise issue du manque flagrant de la pratique démocratique au sein de ce parti indépendantiste. Au lieu d’opter pour le dialogue et le débat afin de trouver une solution au conflit, on recourait à la violence, aux menaces et à la désinformation. On avait chargé 14 personnes de préparer un guet-apens contre Bennaï Ouali à la Place du Square d’Alger. « Le jour J, ces hommes se sont jetés sur Ouali Bennaï qui venait de quitter le café du Square. Il réussit grâce à son imposante corpulence à repousser ses agresseurs qui l’ont blessé au visage. Il se retourne vers ceux qui n’ont pas pris la fuite pour leur dire qu’il leur pardonnait leur méfait et qu’il n’en voulait qu’à ceux qui les ont chargés de l’agresser »*.

Ali Ferhat de Larbâa Nat Iraten, traité de berbériste au même titre que Bennaï, a fait l’objet d’une tentative d’assassinat le mercredi 17 août 1949, jour de marché hebdomadaire à Fort National. Il a reçu une balle en pleine poitrine et a été laissé pour mort avant d’être évacué vers l’hôpital de Tizi-Ouzou où on lui a promulgué des soins lui ayant permis d’avoir la vie sauve.*

Quelques années plus tard, le FLN n’a pas fait mieux, il a continué à cultiver la violence de la même manière que son ancêtre le PPA. Bennaï Ouali et Amar Ould Hamouda ont été exécutés sans jugement et sans véritable raison en pleine révolution. Ceux qui avaient donné l’ordre de les exécuter ont été assassinés à leur tour quelques années plus tard. Des centaines d’autres innocents, voire des milliers, ont été tués avant, durant et après la révolution algérienne.

Pendant plusieurs années, nous, la génération post-indépendance, ne connaissons pas ce côté sombre de notre histoire, car celle-ci a été réécrite et falsifiée. On nous enseignait à l’école que Ben Badis aurait combattu la colonisation en faisant usage de son stylo ; au début, comme nous étions imprégnés par la vision officielle expliquant que la décolonisation serait le fruit des armes de nos vaillants combattants, nous avons compris qu’il éborgnait les soldats français avec son stylo.

On nous racontait à l’école que l’Émir Abdelkader, sans nous expliquer comment il avait pu obtenir ce titre d’Émir, serait le premier à avoir combattu la France colonisatrice et il était le père fondateur de la nation algérienne. On nous disait également qu’en Algérie il n’y avait qu’un seul peuple et une seule religion : un peuple arabo-musulman, tout le reste n’était que mirage.

Nos professeurs de l’éducation religieuse ne cessaient de nous rabâcher la haine des Israélites et des autres religions. Pour eux les juifs serait un peuple maudit ayant occupé illégitimement la Palestine, une terre musulmane et sacrée, tout musulman digne de ce nom devrait les combattre.

En grandissant et grâce à la lecture, nous sommes parvenus à détricoter ces tissus de mensonges. Ben Badis n’a jamais pris part à la révolution algérienne, d’ailleurs, il est décédé bien avant son déclenchement. De son vivant, il a toujours œuvré pour une Algérie française, à aucun moment, il n’a fait allusion dans ses écrits à combattre militairement la colonisation.

En ce qui concerne Abdelkader, l’Émir de Mascara, on ne nous a jamais raconté toutes les péripéties après sa reddition, celui qui était devenu ensuite l’ami de la France. Il avait droit à une pension au même titre qu’un général ayant servi toute sa vie dans l’armée française. Ce qui explique les raisons pour lesquelles, il avait condamné le soulèvement de 1871 en Kabylie tout en apportant son soutien indéfectible à la France. Son histoire est comparable à celle du Général Pétain, héros durant la Première Guerre mondiale, mais traître après le déclenchement de la deuxième.

Pour ce qui est des Israélites, l’histoire nous enseigne que les juifs d’Algérie vivaient en Afrique du Nord depuis l’époque de Nabuchodonosor, 10 siècles avant l’arrivée des Arabes. Ce sont des citoyens algériens au même titre que les autres. À l’époque du prophète musulman, non seulement ils étaient présents en masse en Palestine, mais aussi à Médine et dans d’autres régions de la péninsule arabique actuelle. À l’école, on nous parlait de Sidna Daoud et Sidna Souleyman tout en omettant de préciser qu’il s’agissait des rois juifs David et Salomon. Pourquoi devrions-nous vénérer ces rois et haïr leurs sujets ?

72 ans plus tard, au même endroit où Ali Ferhat a été transpercé par une balle, Djamel Bensmaïl, un artiste et un humaniste, a été sauvagement assassiné et la majorité des analystes pointent du doigt les autorités comme étant les seules responsables de ce crime abject. Ses assassins criaient « Allahou Akbar », un cri qu’on n’entend jamais en Kabylie lors des manifestations, ce qui nous permet de dévisager l’identité de ses auteurs.  On peut conclure que dans ce pays les choses n’ont pas évolué d’un iota, la culture de la violence n’a fait que prospérer.

Par ce crime, on a créé une diversion permettant de dissimuler les conséquences d’un incendie ravageur ayant causé environ 190 morts, parmi eux des bébés et des femmes enceintes. À cela, il faudra ajouter un désastre écologique ayant entrainé la destruction d’une partie considérable de la faune et de la flore en Kabylie, sans oublier les milliers de victimes de la catastrophe sanitaire qui est toujours en cours et dont on ne parle presque plus. Qui sont les responsables de cette hécatombe ? Pas d’accusés ? Pas de pardon ? Pas d’enquête ?

Ce pouvoir, tirant à hue et à dia, brille par sa monstruosité, son incompétence et son irresponsabilité. Sa place est dans le box des accusés d’un tribunal. La haine, la violence et les mensonges ne font pas nation. Ils ne sont qu’une nébuleuse dont il faudra s’extirper pour ne pas finir dans le chaos.

Mourad At Yidir

Universitaire  

*Ali Guenoun : « La question kabyle dans le nationalisme Algérien 1949 – 1962 » Editions Le Croquant.

Amaghnas Amaghnas
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