L’écrit comme cri

La réalité suffocante exige d’être transcendée. Cet exercice ardu n’est rendu possible que grâce à l’art qui est le moyen idéal pour s’extraire de ce marasme ambiant dans lequel est plongé l’Homme. L’art avec ses diverses formes d’expressions a, de tout temps, œuvré dans le sens de l’évasion et de l’engagement jumelés dans sa forme la plus aboutie de l’esthétique. Effectivement l’art nous est loisible, un monde onirique nous est offert et ne souffre d’aucune coercition qui altérerait son objectif ultime. Ce qui d’ailleurs permet de penser le réel et ses affres ; l’angle n’est peut-être pas parfait, toutefois, il éclaire un nouvel horizon resté jusque là assombri. C’est cette tendance constante à fuir et à sortir des sentiers battus qui font émerger de nouvelles pensées, de nouveaux idéaux et qui permettent tout simplement de vivre !! Dans ce sillage, Nietzsche dit : « Nous avons l’art pour ne pas mourir de la réalité » Dans ce monde artistique, j’ose féerique, la poésie n’est pas de reste. L’écrit  construit un monde dépourvu de toute entrave et la poésie-avec ses spécificités « musicales » et formelles, le rend enviable.

Vocaliser le mal et le mettre sous le feu des critiques, l’invectiver avec des tournures métaphoriques, l’illustrer avec des exemples implacables, l’enchevêtrer entre des rimes successives à la prosodie ensorceleuse, lui faire un procès avec de la syntaxe imagée et ciselée, le dénoncer avec le verbe pamphlétaire au gré de l’époque révolutionnaire et puis le condamner devant l’Histoire avec un réquisitoire versifié où chaque mot et chaque sonorité sont tels des peines pesantes sur son corps lacéré, blessé et meurtri par le lexique accusateur et rédempteur.

L’écrivain ou le poète ne s’accommode d’aucune règle, celle-ci est appelée à être transgressée. Abolir tout ce qui voile l’horizon prétendument indépassable et dépoussiérer  l’interdit tout en promouvant la liberté immaculée et non celle admise guidé par des œillères puisant son aval de l’amorphisme généralisé qui lui donne ainsi une légitimité.

L’engagement dans et par l’écrit cautérise les plaies des maux qui nous rongent de l’intérieur, longtemps forcés de les réprimer. C’est à cette indicible blessure que la poésie donne une tribune pour extérioriser la vérité tenue secrète et silencieuse, comme dirait le philosophe déjà cité. L’écriture a cette spécificité est qu’elle permet à l’auteur d’exercer son talent littéraire en jouant de l’agencement des mots afin de dénoncer les maux et d’un autre côté permet un travail interprétatif latitudinaire au lecteur avisé. En effet, ce dernier participe, en quelque manière, au récit de l’auteur en usant de son univers mental imaginatif pour reconstruire, à sa façon,  le monde qu’il est en train de lire. Par conséquent, le lecteur, lui aussi, trouve le besoin de cautériser une blessure particulière. Nous pouvons, alors, dire que le texte lu procure du plaisir et de la satisfaction ; il est une sorte de dictame (au sens figuré) salutaire pour une âme maladive, une thérapie jouissive et une catharsis libératrice qui met au jour le refoulé tant redouté.

Un fait est indéniable est que la tapisserie narrative ainsi que la poésie enchanteresse vivifient la société et entonnent leurs chants révoltés au-delà de l’aire qui les a vus naitre. Le vocable bruit sous la plume de l’auteur et son onde –toujours amplifiée- atteint les couches les plus insoupçonnées, c’est pour cette raison que l’écrit est un cri d’espérance lancé à travers la fiction permissive. Un poète est engagé dès lors qu’il accouche ses pensées sur du papier et sacrifie sa neutralité sur l’autel de la liberté. Il est un médiateur entre un silence létal et une parole salvatrice. N’est-ce pas Tahar Djaout qui disait : « si tu te tais tu meurs, si tu parles tu meurs, alors parle et meurs ! »

Ce n’est pas anodin que la parole de l’homme de lettres traverse les âges sans souffrir d’une quelconque usure, c’est parce que sa source est intarissable et que chaque époque la réactualise afin de répondre aux questionnements de ses contemporains. Ainsi le poète ou l’écrivain vit éternellement à travers ses écrits et la littérature se trouve davantage enrichie par ses esprits visionnaires souvent incompris de leurs époques, pourtant ils sont à l’avant-garde de chaque révolution qui a traversé l’humanité ! Avons-nous peur de l’écrivain ou sommes-nous juste des ingrats ?

L’idéal de ma trajectoire pointe vers Syracuse

Non pas pour résoudre la fameuse conjecture,

Mais juste que la rêverie avinée du verbe qui accuse

M’a plongé dans cette étrange conjoncture !

A la recherche de la science infuse et diffuse

Sous les traits d’homme de littérature.

@le_recalcitrant

Rédaction Kabyle.com
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