Stop à la torture
des militants pacifiques Kabyles
en prison
Le «nomade» judéo-amazigh Albert Memmi s’en est allé !
Albert Memmi, ce juif tunisien aux racines berbères nous a quittés comme sur la pointe des pieds. Très peu médiatisé, son œuvre, pourtant monumentale, n’est pas très connue des jeunes Algériens y compris des Kabyles qu’il a défendu vigoureusement dans les années 1980 quand 24 détenus du MCB (Mouvement Culturel Berbère) passaient devant la cour de sûreté de l’État.
Albert Memmi nous soutenait, mettait à notre disposition son carnet d’adresses et honorait de sa présence nombre de nos rencontres pour la défense des prisonniers et pour la défense de la langue et culture amazighes. Lui-même avait une mère berbère analphabète mais lettrée comme celle de Saint Augustin. Et, comme par un prodigieux alignement des planètes, Albert Memmi était l’élève de Jean Mouhoub Amrouche au lycée de Tunis comme il était également un grand ami de Mouloud Mammeri.
C’est par ce concours de circonstances que nous, militants kabyles de 1980 de Paris, avions découvert l’autre juif berbère, Abraham Serfaty, marocain celui-là, prisonnier du système despotique de Hassan II dans ces années-là. La cause de Serfaty était défendue alors conjointement avec celle des détenus du MCB. À sa libération, nous l’avions rencontré à Paris. Armé d’un courage exemplaire, il est resté inflexible et Mohamed VI a fini par le réhabiliter y compris dans sa nationalité marocaine.
Les jeunes de chez nous gagneraient à connaître tous ces hommes d’honneur et leurs œuvres et s’initier, en l’occurrence, à celle d’Albert Memmi, une œuvre monumentale. Sa condition de minoritaire juif dans un pays musulman renvoie beaucoup à notre situation de berbères « aux marges de l’histoire » comme disait Gabriel Camps. Étrangers et opprimés chez nous. Contraints de nous battre pour y avoir droit d’existence. « Muni de sa seule langue, le colonisé est étranger dans son propre pays » écrivit Albert Memmi. Memmi comme dans « kker-ed, kker-ed a Memmi » de la magnifique berceuse d’Idir qui vient de nous quitter.
Les mêmes négations produisent les mêmes comportements : comme pour beaucoup de berbères en Algérie et au Maroc à qui les autorités municipales refusent encore d’enregistrer leurs enfants sous un prénom amazigh, la mairie de Tunis avait refusé catégoriquement aux parents d’Albert Memmi d’inscrire leur fils sous un prénom hébraïque.
Ses ouvrages sur le « portrait du colonisé » ou encore « la statue de sel « qui relèvent beaucoup de l’autobiographie voire de l’autoanalyse, touchent directement les problématiques psychosociologiques et politiques que nous vivons en tant qu’Amazighs. C’est ce frisson mémoriel et émotionnel qu’Amin Zaoui a saisi et dont il se sent traversé et que ne capte pas (pas encore) le si brillant Kamel Daoud.
Albert Memmi, « le nomade immobile » nous a quittés, puissent ses enseignements irriguer l’esprit des jeunes nord-africains aujourd’hui prisonniers d’un enseignement arabo-wahhabite hégémonique et menaçant. L’espoir est permis, il viendra peut-être de la nouvelle Tunisie.
Condoléances à la famille Memmi et à tous ses lecteurs.
Hacène Hirèche