Stop à l'humilitation, agissons !
Libérer les prisonniers d'opinion Kabyles
Après Gaza, penser aussi aux oubliés de Tizi Ouzou
La libération des otages israéliens, détenus depuis le 7 octobre 2023 dans les pires souffrances à Gaza, a été, à juste titre, saluée comme une victoire humanitaire — et un moment de fierté pour tous ceux qui croient en la dignité humaine. Ce sont des résistants de l’espérance. Ceux qui ne sont pas revenus ne seront jamais oubliés : leurs noms resteront gravés dans les mémoires et les cœurs du monde entier. Chaque vie sauvée est un triomphe de la diplomatie, de la pression internationale, de la détermination et de la foi des familles.
Mais ce soulagement collectif jette une lumière crue sur un autre drame, tout aussi urgent, mais presque entièrement ignoré : en Algérie, des centaines de prisonniers politiques — kabyles, intellectuels, féministes, défenseurs des droits humains — croupissent dans l’indifférence mondiale. Parmi eux, des figures comme Boualem Sansal, écrivain harcelé puis emprisonné pour avoir osé penser librement ; Mira Moknache, romancière arrêtée pour avoir défendu les valeurs du Hirak et la liberté des femmes ; des militants amazighs condamnés pour avoir parlé leur langue ou brandi leur drapeau, des individus inculpés sans fondement réel.
Leur crime ? Avoir refusé le récit unique imposé par le pouvoir algérien depuis l’indépendance : une Algérie exclusivement arabe, exclusivement musulmane, exclusivement centralisée.
En terre amazighe, colonisée de l’intérieur
La Kabylie n’est pas une région « rebelle ». C’est un territoire autochtone, habité depuis des millénaires par des peuples amazighs — parmi lesquels vivaient aussi des Juifs amazighs, profondément enracinés, parlant tamazight, cultivant les mêmes oliviers. Cette pluralité a été effacée au nom d’un nationalisme post-colonial qui, sous couvert de décolonisation, a imposé une colonisation interne : arabisation forcée, islamisation de l’espace public, répression de toute altérité.
Aujourd’hui, le régime algérien instrumentalise même la cause palestinienne pour disqualifier ses opposants : un Kabyle qui réclame l’autonomie est traité de « sioniste » ; un intellectuel qui évoque la coexistence judéo-amazighe est accusé de « normalisation ». L’antisémitisme n’est ici ni spontané ni populaire : c’est un outil politique, utilisé pour diaboliser toute pensée plurielle.
La cible : ceux qui osent exister autrement
Il ne s’agit pas d’une « haine des Juifs ou des Berbères » au sens ethnique. Il s’agit d’une répression systématique contre ceux qui menacent le monopole identitaire de l’État.
- Les Juifs (ou leur mémoire) sont effacés parce qu’ils rappellent que l’Algérie n’a jamais été homogène.
- Les Kabyles nationalistes sont criminalisés parce qu’ils refusent que leur identité soit réduite à du folklore.
Le pouvoir ne craint pas la différence en soi — il craint qu’elle devienne politique, organisée, internationale. C’est pourquoi il emprisonne les voix, ferme les associations, surveille les réseaux, et utilise la justice comme arme de guerre.
La paix universelle commence par les oubliés
On ne peut célébrer la diplomatie quand elle libère certains otages, et l’ignorer quand elle pourrait sauver d’autres vies. La paix à Gaza est légitime — mais elle ne doit pas servir de rideau de fumée pour masquer la répression en Afrique du Nord.
Si les Accords d’Abraham veulent prétendre à une portée morale, ils doivent cesser d’être uniquement des alliances entre États. Ils pourraient devenir un levier pour exiger la libération de tous les prisonniers de conscience, qu’ils soient palestiniens, israéliens, kabyles, ou français.
Un test pour la France, l’Europe, le monde
La détention d’un journaliste français en Algérie n’est pas un incident. C’est un défi lancé à la liberté de la presse, à l’État de droit, à la solidarité démocratique. Et le sort de Sansal, de Moknache, des militants kabyles, est un miroir tendu à ceux qui se disent défenseurs des droits humains : jusqu’où irez-vous dans le silence pour préserver des « relations stables » avec un régime qui emprisonne ses penseurs ?
La véritable paix — celle qui dure — ne naît pas seulement des cessez-le-feu entre armées. Elle naît quand aucun peuple n’est sacrifié sur l’autel de la convenance géopolitique.
Quand les Kabyles ne sont plus traités comme des traîtres pour avoir parlé leur langue.
Quand la mémoire juive amazigh n’est plus un tabou.
Et quand un journaliste peut faire son métier sans finir en prison.
Tant que cela ne sera pas le cas, aucune libération ne sera pleinement une victoire.
Une main tendue ignorée par Paris
Dans ce contexte, il faut aussi pointer le silence assourdissant de la diplomatie française.
Emmanuel Macron, pourtant prompt à commenter les conflits du Moyen-Orient ou à parler de « réinvention » de la relation franco-africaine, a sciemment ignoré la main tendue par Ferhat Mehenni.
Une main tendue pour un dialogue, pour une reconnaissance, pour une solution pacifique dans la continuité des Accords d’Abraham.
Une main tendue également à Benjamin Netanyahou et Donald Trump, à l’époque artisans de ce processus de normalisation, pour intégrer la question kabyle dans une vision plus large de la paix.
Cette main est restée suspendue dans le vide.
La France a préféré ne pas déplaire à Alger, quitte à tourner le dos à ses propres principes républicains.
Et pourtant, il est encore temps
Il est encore temps d’agir, avant que les frustrations légitimes des peuples oubliés ne se transforment en colères ingérables.
Il est encore temps de faire des Accords d’Abraham non pas un club fermé de gouvernements réalistes, mais un laboratoire ouvert de peuples libres.
Il est encore temps que la paix, la vraie, passe aussi par la Kabylie.
