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Une école de cinéma à Timzrit (Kabylie)
L’association Ciné Plus a aujourd’hui pris le relais. Son bouillonnant président, M. Azzedine Kedadouche, se démène comme un beau diable pour asseoir ce canal d’expression encore peu maîtrisé dans nos villages, au sein de la jeunesse. Quand on met une caméra entre les mains d’un jeune kabyle, au lieu d’une guitare, comme on a coutume de le faire, cela donne parfois des œuvres culturelles d’une autre dimension qu’un vague album de chansonnettes approximatives. Quand on sait que le patrimoine culturel a si peu été fixé sur pellicule, on mesure l’immensité de la tâche qui ceux qui voudraient bien se mettre à l’œuvre.
Le cinéma au service de la mémoire et de la culture
Créée en novembre 2000, l’association Ciné Plus compte aujourd’hui 80 adhérents. Chaque vendredi, on organise des spectacles et des projections débats avec des réalisateurs ; on organise également des ateliers de formation pour les jeunes et les moins jeunes. Actuellement, deux ateliers sont ouverts. L’un, encadré par un comédien du TRB, Le Théâtre Régional de Bgayeth, est ouvert à des apprentis comédiens dont l’âge varie entre 12 et 17 ans. L’autre atelier, est encadré par quatre formations de la l’Association Cinéma Le France de Saint Etienne. Il concerne le cinéma d’animation et la formation à l’image. Quatre formateurs venus de France encadrent de jeunes talents assoiffés de connaissances. Ils appartiennent à l’Association Cinéma Lefrance de Saint Etienne.
La relation entre les gens de Timzrit et Saint Etienne ne date pas d’hier.
Mise en exploitation en 1902, la mine de Timzrit n’a fermé ses tunnels qu’en 1974. Entre temps, presque tout le monde dans la région a travaillé dans la mine. Au cours des années, 8 000 personnes ont quitté la mine de Timzrit pour celles de Saint Etienne. Un flux migratoire qui n’a tari que ces dernières années mais qui a tissé beaucoup de passerelles entre les deux régions. Ces liens doivent en principe faire l’objet d’un film documentaire qui doit être tourné de part et d’autre de la Méditerranée. Côté français, on a commencé le tournage. Côté algérien, on attend toujours l’autorisation du ministère de la culture. On l’a demandée deux fois et on attend toujours. Dans les dédales de la bureaucratie algérienne, on s’y perd aussi facilement que dans les galeries souterraines de Timzrit. L’équipe doit également tourner un documentaire sur le rituel de l’arrivée du printemps, Amenzou n’tafsut, en Kabylie. Quand on demande son impression à Anaïs, la jolie stéphanoise qui fait partie des encadreurs, elle répond aussitôt que dans l’ensemble, c’est plutôt bon. « Les gens sont hyper motivés », dit-elle. De son côté, Mouloud est également hyper motivé. Venu, lui aussi de Saint Etienne, il prépare, avec son groupe, le gala spectacle de la clôture. La cause est noble. Il faut lever des fonds pour acheter du matériel cinématographique pour Ciné Plus. Pour Azzedine, le président, l’objectif général que poursuit l’association est clair : « Nos villages ne doivent pas être des déserts culturels où il n’y que des bars et des mosquées ». Pertinente remarque car il est évident que les villages kabyles d’aujourd’hui ont besoin de tous les Azzedine qu’ils peuvent enfanter pour éviter ce funeste destin que l’Etat et les islamistes lui ont depuis longtemps tracé.
Avec la mine, la région de Timzrit peut devenir un pôle touristique et culturel. Il faut se battre pour ça. Azzedine, par exemple, ouvrir un musée de la mine pour préserver la mémoire de la région mais chaque démarche est une bataille. Il veut également récupérer les ateliers mécaniques ; des grottes aménagées, pour en faire des locaux pour l’association mais l’administration ne veut rien lâcher.
L’équipe nous invite à faire un tour à la mine située en haut du village. L’endroit est, en effet, superbe. Un ruisseau coule à torrents en bas de la mine. Les romains qui avaient fondé le village de Tiklat (Tubusptu), en l’an 25 avant Jésus Christ, avaient capté cette source et l’avaient acheminée vers les thermes de la ville de Tiklat, sur la rive gauche de la Soummam. Les pylônes qui supportaient l’ancien téléphérique qui descendait vers la vallée sont toujours debout. Les équipements rouillent sur pied. Qui sait ? Il pourrait un jour être remis en service pour drainer, non plus des tonnes de minerai mais des centaines de touristes qui viendraient visiter la mine et assister aux spectacles qu’on y programme sur son immense esplanade. Il n’est pas interdit de rêver.
Azzedine nous montre au loin une petite maison perchée sur un promontoire rocheux de l’autre côté du ravin. Il s’agit de la maison familiale de Mouloud Aounit, le président du MRAP qui est venu cet été se ressourcer au bled. Les falaises de la mine sont immenses. Dans petites cavités naturelles, des rapaces et des colombes y nichent et semblent vivre en bonne intelligence. Du site de la mine, on peut très bien voir au loin vers l’ouest, le pic de Yemma Gouraya. Yemma Timzrit, la sainte patronne de la région, elle, possède son mausolée tout en haut de la montagne qui surplombe le village et la région des Ath Yimmel, sur le site même de son ermitage. Selon une légende locale, les deux femmes seraient parentes. Réel ou supposé et quel que soit ce degré de parenté, on ne peut que constater que la Kabylie a offert certains de ses points culminants à des femmes pour veiller sur ses habitants : Yemma Kheledja, Yemma Gouraya et Yemma Timzrit, pour ne citer que les plus connues. Une piste à creuser pour les sociologues et les anthropologues qui voudraient bien s’y intéresser.
En attendant ces livres qui viendront fixer notre culture et retracer notre histoire avec notre propre regard, les gens de Timzrit, avec cette école de cinéma, offrent à la Kabylie un modèle et un exemple à suivre.
M.Ouary.