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L’amazigh possède son alphabet Tifinagh : il n’a pas besoin de transcription
L’amazigh n’est pas une langue en quête d’alphabet. Il possède le sien, millénaire : le Tifinagh, symbole de continuité historique, de dignité culturelle et de résistance identitaire. Pourtant, certains continuent de vouloir imposer des transcriptions étrangères – API, caractères latins, graphie arabe – au nom d’une soi-disant « modernité linguistique ».
Cette vision est fausse. Elle est même dangereuse. Car abandonner son écriture, c’est perdre une partie de soi. Dans ce texte essentiel, Mohand Ouramdane Khacer, figure clé du mouvement amazigh et artisan de la normalisation moderne du Tifinagh, rappelle pourquoi notre alphabet n’est ni un folklore ni un décor identitaire, mais un choix stratégique, historique et politique.
Réponse aux tenants des idéologies étrangères
C’est grâce à l’Académie Berbère de Paris et de Roubaix, qui ont sorti l’alphabet Tifinagh de l’oubli, et aux revues Imazighen, Ittij, Afus Deg Wfus (1971), ainsi qu’à la revue Amazigh de Ouzine Ahardan au Maroc dans les années 1980, que notre peuple a retrouvé une part essentielle de sa fierté et de son identité.
On nous parle souvent de la tradition de l’API (alphabet phonétique international) utilisée depuis le XIXᵉ siècle. Mais c’est justement cette transcription qui a contribué à maintenir notre langue et notre peuple dans la marginalisation culturelle et politique, y compris après les indépendances.
Aujourd’hui encore, certains affirment qu’avec l’API ou les caractères latins, la langue amazighe pourrait accéder plus facilement aux domaines de la science et de la technologie.
C’est une illusion.
La vérité est que seuls ses enfants, par leur engagement, leur savoir et leur créativité, ouvriront à la langue amazighe les portes du savoir et de la modernité.
De nombreux peuples dans le monde utilisent leur propre alphabet, parfois même des systèmes idéographiques, pour écrire leur langue. Cela ne les a jamais empêchés d’atteindre un haut niveau de développement.
Pourquoi en serait-il autrement pour nous ?
Le réveil amazigh en marche : la renaissance du Tifinagh dans le monde
Aujourd’hui, le réveil amazigh est irréversible.
L’écriture Tifinagh est le socle de notre identité visuelle et culturelle. Elle renforce la confiance en soi chez nos enfants et affirme la continuité de notre civilisation millénaire.
L’exemple du Maroc, qui a officiellement adopté le Tifinagh comme graphie officielle de la langue amazighe en 2003, est significatif : cette écriture, standardisée par l’association Afus Deg Wfus puis par l’IRCAM, est désormais enseignée dans les écoles, présente dans les institutions publiques, sur les panneaux officiels, et consacrée par la Constitution de 2011 qui a fait de Tamazight une langue officielle de l’État.
En Libye, après la chute du régime de Kadhafi, le Tifinagh a retrouvé sa place dans la sphère publique, notamment dans la région du Djebel Nefoussa et à Ghadamès, où il est enseigné et utilisé dans les médias communautaires.
En Algérie, malgré l’absence d’une adoption officielle du Tifinagh dans l’enseignement public, plusieurs associations et établissements culturels, notamment en Kabylie, Aurès et Mzab, l’intègrent dans leurs programmes éducatifs et dans la signalétique. Le Tifinagh bénéficie en outre de la reconnaissance numérique internationale, grâce à son intégration dans le standard Unicode depuis 2005, ce qui facilite sa diffusion sur toutes les plateformes numériques.
Un héritage réhabilité et modernisé : le Tifinagh est un alphabet tourné vers la modernité numérique
C’est le standard aménagé par Mohand Ouramdane KHACER, président de l’association Afus Deg Wfus, en 1989 et 1993, qui a servi de base au modèle adopté par l’IRCAM puis reconnu dans l’Unicode.
Ce travail pionnier a permis de moderniser le Tifinagh, d’en faire un outil de communication adapté à l’ère numérique, tout en préservant sa symbolique historique et son authenticité graphique.
Cette démarche a été consolidée par le plaidoyer publié dans l’hebdomadaire Tidmi en octobre 1995, sous la direction de Mahdjoubi Ahardan, homme d’État marocain et ancien ministre, intitulé :
« Plaidoyer pour l’usage du Tifinagh », paru dans la rubrique Écriture sous l’en-tête de l’Espace Culturel Amazigh Afus Deg Wfus – Roubaix.
Ce texte, signé par Mohand Ouramdane KHACER, défendait déjà avec vigueur la nécessité de :
sortir le Tifinagh de l’oubli, le doter d’une norme graphique unifiée, et en faire l’outil pédagogique et identitaire du renouveau amazigh. On pouvait y lire :
« La redécouverte de cet alphabet amazigh est un élément salvateur qui a donné la fierté aux Imazighen. (…)
Il est devenu le ciment unificateur du GPA (Grand Peuple Amazigh). (…) Depuis 1993, l’association Afus Deg Wfus, qui a élaboré un Tifinagh aménagé, n’a d’autre ambition que de réhabiliter cet alphabet millénaire pour le rendre lisible, utilisable et moderne. »
Ce plaidoyer, relayé dans plusieurs cercles culturels et repris par les mouvements amazighs du Maroc et de la diaspora, a constitué une référence fondatrice pour la reconnaissance ultérieure du Tifinagh en tant que graphie officielle.
Un choix identitaire, pas idéologique
L’API ou la transcription latine ne sont que des outils transitoires. Leur imposition rappelle celle de l’alphabet araméen dit « arabe », promu jadis par les tenants des idéologies arabo-islamiques baâthistes.
Ces choix, d’apparence technique, sont en réalité politiques et idéologiques : ils visent à freiner les Amazighs dans leur marche vers la liberté linguistique et culturelle.
Comme le disait Abraham Lincoln :
« Vous pouvez tromper quelques personnes tout le temps.
Vous pouvez tromper tout le monde un certain temps.
Mais vous ne pouvez tromper tout le monde tout le temps. »
Et comme le rappelait Dda Lmouloud Mammeri :
« Le reste, c’est de la littérature. »
Témoignages d’autorité et références : Mammeri, Remdan At Mensur et d’autre
Mouloud Mammeri, qui avait adapté l’API pour la langue amazighe, n’a jamais dit qu’il s’agissait d’un choix définitif. Au contraire, ce grand visionnaire écrivait dans la préface du livre de Hamouna, Grammaire berbère ⵜⴰⵎⵄⴰⵎⵔⵉⵜ ⵜⴰⵊⴻⵔⵔⵓⵎⵜ ⵎⴰⵞⵉ ⵜⵉⵔⴰ ⵏ ⵜⵍⴰⵜⵉⵏⵉⵜ. (octobre 1987) :
« Nous avons utilisé les caractères latins pour des raisons pratiques.
Mais demain, le berbère doit s’écrire en berbère, c’est-à-dire en Tifinagh aménagé. C’est le simple bon sens. »
Remdan At Mensur, auteur de la traduction du Coran en amazigh Tifinagh (Alger, 2006), déclarait :
« Nous avons travaillé avec la transcription latine. Mais il ne s’agit que d’une étape transitoire. Tamazight possède sa propre écriture. Nous avons utilisé une fonte Tifinagh proposée par l’association Afus Deg Wfus. »
Conclusion : écrire amazigh en Tifinagh, un acte de souveraineté
L’amazigh a son propre alphabet, le Tifinagh.
Il n’a pas besoin d’être travesti dans d’autres graphies.
Choisir le Tifinagh, c’est affirmer notre liberté et notre identité, c’est assumer notre héritage.
C’est un acte de dignité, de conscience et de renaissance.
Med Ouramdane KHACER
Président de l’association Afus Deg Wfus
Ancien dirigeant fondateur de l’Académie Berbère du Nord à Roubaix
Auteur du Plaidoyer pour l’usage du Tifinagh (Tidmi, octobre 1995, sous la direction de Mahdjoubi Ahardan).
Publié le 20 août 2011 actualisé en octobre 2025
Beaucoup de Kabyles ne s’en rendent pas compte, mais nous sommes en train de nous éloigner de notre identité amazighe. Nous délaissons peu à peu notre vocabulaire au profit d’emprunts arabes ou français, comme si notre langue n’était plus capable d’exprimer le monde moderne. Nous écrivons massivement en caractères latins, au point que le Tifinagh, notre alphabet originel, se trouve relégué au décor folklorique ou aux logos d’associations.
Ce glissement progressif n’est pas anodin : il crée une rupture entre les générations. Nos enfants ne savent plus comment écrire correctement leur langue, ni quelle graphie leur appartient. Ils grandissent dans le flou linguistique, privé d’un repère fondamental : l’écriture qui leur transmet une mémoire et une continuité.
C’est précisément ce que rappelle Mohand Ouramdane Khacer dans cette contribution essentielle : la langue amazighe ne doit pas se contenter d’exister, elle doit exister dans son alphabet — le Tifinagh. Car une langue sans son écriture n’est pas libre. Elle devient dépendante, fragile, déracinée. Choisir le Tifinagh n’est pas un choix sentimental, c’est un acte de souveraineté culturelle, un devoir de transmission et un chemin vers la modernité amazighe.

Thanmirt, enfin un qui redonne a Thifinagh sa vraie place