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Une semaine d’hommages à Matoub Lounès : entre ferveur de la diaspora et limites en Kabylie
À chaque mois de juin, la mémoire de Matoub Lounès ressurgit avec force en Kabylie comme dans la diaspora. Depuis ce jour noir du 25 juin 1998, lorsque Lounès Matoub a été assassiné à Thala Bounane, la mémoire de ce poète rebelle, porte-voix de tout un peuple, ne cesse d’animer les cœurs. Vingt-sept ans plus tard, une semaine entière est de nouveau consacrée à son souvenir, notamment dans la diaspora kabyle, avec une intensité qui contraste fortement avec les hommages organisés en Kabylie sous étroite surveillance de la dictature algérienne.
En France, les hommages ont commencé dès le 21 juin à Drancy, avec une exposition de portraits de Matoub par Amar Hanniche, suivie d’une conférence de Yalla Seddiki, auteur récemment invité à Nantes pour présenter son ouvrage sur Matoub, salué pour sa profondeur et sa rigueur. Seddiki incarne une nouvelle génération d’intellectuels kabyles qui cherchent à documenter, expliquer et transmettre l’œuvre de Matoub dans toute sa complexité. Il est d’ailleurs devenu une voix importante dans la restitution historique du combat du Rebelle.
À Rouen, le Collectif Le Cri Artistique organise un rassemblement devant le Palais de Justice, le 25 juin à 19h. Le choix du lieu n’est pas anodin : ce n’est pas seulement un hommage, mais aussi un appel à la justice, un rappel que les commanditaires de l’assassinat de Matoub n’ont jamais été jugés. L’affiche de l’événement donne le ton : une citation du Rebelle, son regard ferme, son visage figé dans l’histoire. Rouen s’ajoute ainsi à une longue liste de villes françaises où Matoub est non seulement commémoré, mais revendiqué.
Partout dans la région parisienne — Pierrefitte, Bobigny, Saint-Ouen, Épinay, Montreuil — des débats, veillées, scènes ouvertes et dépôts de gerbes rythment la semaine. À Saint-Ouen, une place a même été inaugurée en son nom, avec la participation de Nadia Matoub et de plusieurs élus locaux. Ces gestes, bien qu’ancrés localement, ont une portée symbolique forte : Matoub est intégré à l’espace public, reconnu comme une figure de lutte universelle.
Le 25 juin à 18h , date anniversaire de son assassinat, des gerbes de fleurs seront déposées rue Matoub Lounès à Saint‑Denis–Pierrefitte. Ce recueillement organisé par le Réseau Culturel Franco‑Berbère et la municipalité se fera en présence de Nadia Matoub. Un moment solennel et émouvant, au cœur de l’espace public, marquant une reconnaissance officielle durable
Et pendant ce temps, que se passe-t-il en Kabylie ?
Le 23 juin, la Maison de la culture de Tizi Ouzou a accueilli une cérémonie commémorative. Sobre, digne, mais limitée. Quelques discours officiels, un dépôt de fleurs, une minute de silence. Dans les villages, les habitants se sont rendus spontanément sur la tombe du poète à Taourirt Moussa, ou sur le lieu de son assassinat. Des veillées ont eu lieu, sans médiatisation, souvent portées par des militants de la première heure ou des membres de sa famille.
Le contraste est saisissant. En France, les hommages à Matoub sont soutenus par des municipalités, organisés dans des espaces culturels, relayés par la presse locale, portés par des élus. Les villes françaises ont inscrit son nom dans l’espace public, des places et rues rappellent qu’un homme s’est levé un jour contre le silence imposé. En Kabylie, ce sont des souvenirs portés à bout de bras, dans l’ombre, loin des projecteurs.
Ce déséquilibre ne s’explique pas uniquement par la géographie. Il révèle une gêne persistante du pouvoir algérien face à la figure de Matoub. En refusant d’en faire un héros national, le régime continue à marginaliser la portée de son combat. Le souvenir est toléré, mais jamais institutionnalisé. La culture kabyle perd ainsi un levier puissant de reconnaissance publique. Et les jeunes, bien qu’admiratifs, n’ont pas accès aux mêmes outils de mémoire que leurs cousins de la diaspora : expositions, archives, espaces d’échange.
La semaine d’hommages à Matoub Lounès révèlé deux réalités. D’un côté, une diaspora structurée, confiante, déterminée à transmettre, à nommer, à affirmer. De l’autre, une Kabylie orpheline, toujours endeuillée, mais enfermée dans un deuil sans relais officiel. C’est là, peut-être, que se situe le vrai héritage de Matoub : dans ce besoin, toujours brûlant, d’émancipation et de dignité. Une mémoire qu’il nous revient de faire vivre, librement et sans peur.
Matoub Lounès était plus qu’un chanteur : il était une conscience politique, un rempart contre l’islamisme, une voix libre dans un pays bâillonné. Son absence a laissé un vide, que la diaspora tente de combler. Mais pour que son message perdure, il faudra que sa terre natale puisse un jour l’honorer sans peur ni compromis.
Parce qu’un peuple qui oublie ses martyrs est un peuple qui oublie de se défendre.
