Lettre de prison : Madjid Aggad interpelle Madjid Boutemeur

Dans une lettre poignante rédigée depuis sa cellule, Madjid Aggad, militant kabyle emprisonné en Algérie, s’adresse directement à Madjid Boutemeur, universitaire et ancien soutien de la cause kabyle. Publiée sous le titre « Lettre ouverte de la prison – De Madjid Aggad à Madjid Boutemeur », le texte met en lumière une fracture douloureuse entre deux figures qui se considéraient naguère comme frères de lutte.

De la fraternité à la rupture

« Et toi, Madjid… toi, qui m’appelais frère, toi qui dénonçais un jour mon emprisonnement, aujourd’hui… tu me renies. » Cette phrase, en ouverture de la lettre, résume à elle seule le désarroi de son auteur. Madjid Aggad reproche à Boutemeur d’avoir pris ses distances, non seulement vis-à-vis de lui, mais aussi vis-à-vis du Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK), désormais classé « organisation terroriste » par l’État algérien.

Aggad accuse son ancien camarade de relayer, aujourd’hui, le discours du pouvoir. Il lui rappelle que le MAK, s’il est radical dans ses revendications, n’a jamais prôné la violence, et que son engagement personnel relève d’une volonté pacifique de dignité et de reconnaissance pour la Kabylie.

Une lettre à portée politique

Plus qu’une réaction personnelle, cette lettre est un acte politique, une dénonciation publique de ce que l’auteur perçoit comme une trahison intellectuelle. Il interroge :
« Suis-je devenu terroriste aux yeux de ton ambition ? »
« Qu’as-tu gagné ? Une paix avec l’État ? Une place au chaud ? »

Ces phrases ne sont pas que des accusations : elles reflètent un sentiment d’abandon profond, partagé par une partie de la diaspora kabyle face au silence ou au revirement de certaines élites.

Le poids de la mémoire kabyle

Madjid Aggad conclut en soulignant que la mémoire kabyle est longue. Il oppose la fidélité à ses convictions, malgré l’incarcération, au silence de ceux qui, selon lui, ont renoncé. « Moi, je suis encore debout, même assis sur le sol d’une cellule. Et toi, Madjid ? » interroge-t-il.

Cette lettre soulève des questions fondamentales sur l’engagement politique, la loyauté, et la mémoire collective. Elle met en lumière un clivage grandissant entre les militants de terrain et certains anciens soutiens aujourd’hui plus conciliants envers le pouvoir algérien.

Un témoignage rare dans un climat répressif

Dans un contexte où les arrestations de militants kabyles se multiplient, cette lettre donne une voix à ceux qui n’en ont plus, enfermés pour leurs idées. Elle témoigne aussi d’un conflit générationnel et stratégique au sein même de la mouvance kabyle : faut-il continuer à s’opposer frontalement au régime, ou chercher d’autres voies de reconnaissance ?

Quoi qu’on pense du fond, ce texte est un appel au débat, à la clarification, et à la responsabilité des intellectuels dans les luttes populaires.

Lettre ouverte de la prison – De Madjid Aggad à Madjid Boutemeur

Madjid,

Je t’écris non pas par colère, mais par douleur.
Je suis encore ici, entre quatre murs. Prisonnier d’un régime qui a peur des idées, qui a peur des Kabyles debout.
Et toi, Madjid… toi, qui m’appelais frère, toi qui dénonçais un jour mon emprisonnement, aujourd’hui… tu me renies.
Toi, le professeur, l’intellectuel, l’homme de science,
tu répètes désormais les mots de ceux qui nous enferment.
Tu traites le MAK de terroriste.
Tu nous jettes en pâture, à nous, les tiens, à ce pouvoir que tu dénonçais autrefois.
Suis-je devenu terroriste aux yeux de ton ambition ?
Suis-je un criminel parce que je suis resté fidèle à mes idées, pendant que toi tu t’en éloignes ?
Suis-je une erreur dans ta mémoire ? Ou simplement un souvenir gênant ?

Tu sais pourtant ce qu’est le MAK.
Tu sais qu’il n’a jamais levé d’arme, qu’il ne propage que des mots, des rêves, une revendication de dignité.
Tu sais que je suis en prison non pour ce que j’ai fait, mais pour ce que je suis : kabyle, libre, engagé.

Et toi, Madjid… pourquoi ce revirement ?
Qu’as-tu gagné ? Une paix avec l’État ? Une place au chaud ? Un silence en échange de l’oubli ?

Je ne t’écris pas pour t’insulter.
Je t’écris parce que ton reniement fait plus mal que ma cellule.
Parce que quand un frère tourne le dos, c’est plus cruel que la trahison d’un ennemi.

Aujourd’hui, tu as choisi ton camp.
Mais rappelle-toi : la mémoire kabyle est longue.
Et l’Histoire ne se souviendra pas des voix qui ont trahi, mais de celles qui ont résisté, même entre les murs.

Moi, je suis encore debout, même assis sur le sol d’une cellule.

Et toi, Madjid ? Où es-tu ? Qui es-tu devenu ?

Madjid Aggad
Prisonnier d’opinion
Fils de la Kabylie
Frère trahi, mais pas brisé.

Rédaction Kabyle.com
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Un commentaire

  1. Le Prof est trop brave, courageux et intelligent pour essayer d’interpreter son silence ou eloignement a une fuite de lache, que la lettre et sa publication suggerent. Je n’ai aucun doute que ce que Madjid, son retrait du publique, est raisonne’ – et de la maniere la plus juste. Si ce n’est pour de bonnes raisons qui sont les siennes, c’est son droit absolut.
    Ces methode de charier ne menent nulle-part.

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