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Libérer les prisonniers d'opinion Kabyles
Kabylie, une liberté à hauteur d’homme
Par Stéphane ARRAMI
Le 14 décembre 2025 approche, présenté comme le grand jour de la proclamation de l’indépendance de la Kabylie.
Au-delà des annonces et des conférences de la diaspora, la Kabylie reste une terre blessée, où des familles attendent encore la libération de leurs proches et où la parole se paie cher. Ce texte ne vise personne : il rappelle simplement que la dignité d’un peuple ne se délègue pas. La vraie indépendance ne se joue pas dans les chancelleries ou les manifestes, mais dans la dignité de chaque citoyen, dans la langue transmise, dans le pain partagé, dans la parole tenue.
Un acte historique à réancrer dans le peuple
Cet acte du 14 décembre 2025 sera sans doute inscrit dans l’histoire kabyle. Il comptera parmi ces gestes symboliques qui marquent une étape, un signal, une volonté.
Mais il ne saurait, à lui seul, ouvrir les portes de la libération. La vraie émancipation d’un peuple ne se décrète pas à date fixe : elle se construit dans la durée, par la justice, la mémoire et la transmission.
La Kabylie n’a pas attendu un sigle ni un congrès pour exister. Elle a traversé les siècles sans État ni armée, avec sa seule parole tenue, sa tajmaât et sa langue.
Ceux qui proclament aujourd’hui son indépendance sans son peuple oublient que la Kabylie n’a jamais été un appareil : c’est une conscience, une blessure et une fidélité.
Le document proclamant l’indépendance au nom du MAK, diffusé le 1er novembre 2025, est un texte juridique impeccable, aligné sur les résolutions de l’ONU et l’avis de la Cour internationale de justice sur le Kosovo. Pourtant, derrière ce vernis légal se profile un piège : celui d’une indépendance proclamée sans peuple, d’une “souveraineté en exil” qui s’autocélèbre sans consultation, sans ancrage, sans respiration collective.
Un peuple n’est pas une ligne dans un mémoire d’avocat. Un peuple, c’est une multitude de voix, d’histoires et de visages reliés par une mémoire partagée.
Une arcane collective, pas un jeu solitaire
Personne ne conteste le courage des militants ni les sacrifices des années de lutte. Cependant transformer une cause en propriété, une lutte en monopole, c’est trahir l’esprit même de la Kabylie. Une indépendance authentique ne peut se construire dans la verticalité d’un sigle : elle naît de la multiplicité des consciences et du souffle partagé d’un peuple.
Le texte du MAK parle au nom d’une seule structure, alors que la libération kabyle appartient à des milliers d’hommes et de femmes, souvent restés dans l’ombre : penseurs, enseignants, artistes, familles meurtries du Printemps noir, militants de terrain, associations culturelles, jeunes de la diaspora. Tous ont porté, à leur manière, une part du combat — parfois sans être cités, ni même reconnus.
La Kabylie ne se résume pas à un homme, même s’il a su incarner une époque.
Elle n’a pas besoin d’un culte : elle a besoin d’une respiration collective.
Et cette respiration ne peut naître que d’un espace ouvert, consultatif, où chaque Kabyle – en Kabylie, en exil ou en silence – retrouve sa place et sa voix.
Une indépendance proclamée pour mieux l’enterrer
Proclamer sans peuple, c’est proclamer dans le vide.
Faire acte d’État sans consultation, c’est déplacer la Kabylie du réel vers le symbolique.
Et quand le symbole devient l’unique horizon, le pouvoir s’en nourrit.
Après la proclamation vient le silence : plus de débat, plus de critique, plus de projet commun.
L’indépendance figée devient un drapeau pour les réseaux sociaux et un paravent pour les ambitions personnelles.
L’histoire nous l’a montré : les révolutions confisquées par leurs propres chefs finissent toujours par trahir le rêve qu’elles prétendaient servir. Et la Kabylie mérite mieux qu’un rêve captif.
Pour une autre voie kabyle
Il est temps de rouvrir le dialogue entre toutes les Kabylies : celle du pays profond, celle de la diaspora, celle des chercheurs, des familles, des survivants et des poètes.
Il faut bâtir une Charte nationale kabyle, non partisane et non confessionnelle, fondée sur la démocratie, l’égalité, la mémoire et la transmission.
Une charte portée par les citoyens, pas par les sigles.
Une charte qui ne parle pas au nom de, mais avec le peuple.
Mais cette refondation doit aussi se traduire par des actes.
Participer, chacun à sa mesure, à construire des entités libératrices : des associations autonomes, des espaces d’entraide, des coopératives culturelles, des outils en ligne indépendants et solidaires, où la langue, la recherche et la mémoire peuvent vivre loin des censures et des dépendances politiques. C’est ainsi que naîtra une véritable souveraineté kabyle — intellectuelle, culturelle et numérique.
L’indépendance kabyle, si elle doit voir le jour, ne naîtra pas d’un décret d’exil, mais d’un consensus patient, d’un ancrage humain et d’une refondation morale.
Elle ne sera légitime que si elle vient du bas : des villages, des femmes, des enseignants, des artistes, des jeunes et des anciens.
La liberté ne se signe pas, elle se bâtit
La Kabylie ne se libérera ni par décret, ni par exil, ni par notariat.
Elle renaîtra quand chaque citoyen prendra part à son destin.
Quand la langue kabyle sera pleinement transmise, quand la mémoire de 2001 deviendra le socle d’une éthique, pas un slogan.
L’indépendance n’est pas un communiqué : c’est un chantier, une promesse tenue, un pacte collectif entre les vivants et les morts.
Et cette promesse, nul parti ne peut la confisquer.
“La Kabylie n’est pas un drapeau de parti.
Elle est un peuple, une histoire et un horizon.
Et cet horizon, aucun exil, aucun appareil, aucun nom propre ne pourra le contenir.”
Je ne parle pas ici contre les militants du MAK, ni contre ceux qui croient sincèrement à sa voie.
Beaucoup d’entre eux ont porté la cause avec courage, souvent dans la solitude, parfois dans la peur.
Entre l’engagement sincère des hommes et des femmes du terrain, et la construction politique qui s’en réclame, il y a un écart qu’il faut nommer.
Ce texte s’inscrit dans cette nuance : celle de la solidarité critique, pas de la rupture.
La Kabylie a trop souvent vu naître des espérances avant de les voir se dissoudre dans le silence. Le danger aujourd’hui n’est pas la division : c’est la désillusion.
