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Fouroulou triomphe à Agadir
Mouloud Feraoun retrouve sa voix dans un cinéma kabyle debout
Agadir, 5 octobre 2025 — C’est un moment de vérité pour le cinéma amazigh, et un geste de mémoire politique autant qu’artistique. À l’issue de la 16ᵉ édition du Festival Issni n’Ourgh International du Film Amazigh (FINIFA), le Grand Prix du film amazigh a été attribué à Fouroulou, réalisé par Ali Berkennou — une adaptation cinématographique bouleversante du chef-d’œuvre Le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun.
Un roman kabyle fondateur porté à l’écran : acte d’art et d’affirmation
Porter à l’écran l’œuvre fondatrice de Feraoun, ce n’est pas seulement adapter un texte : c’est réactiver une mémoire collective longtemps piétinée, redonner chair et voix à la Kabylie paysanne, digne, résistante, celle que les écoles ont voulu effacer, que les régimes ont tenté de folkloriser ou de faire taire.
Fouroulou, c’est la Kabylie de l’intérieur. Celle de la pauvreté, mais aussi de la fierté. Celle de l’école coloniale, mais aussi des rêves d’émancipation. Celle des maisons en terre battue et des bibliothèques en devenir. Celle que Feraoun avait couchée sur papier avec pudeur et force — et qu’Ali Berkennou réinvente aujourd’hui avec l’image, les silences, la lumière et le regard.
Un prix qui dépasse le cinéma : victoire d’une mémoire kabyle debout
Ce prix, décerné à Agadir, ville-amazighe mais institutionnellement verrouillée, résonne bien au-delà du festival. Il dit clairement ceci : la culture kabyle ne demande plus à être reconnue, elle s’impose par la création.
L’adaptation de Fouroulou marque une étape : le cinéma amazigh cesse d’être périphérique pour devenir central. Il n’est plus un espace d’archivage, mais un espace d’énonciation, où la langue, l’histoire et les visages kabyles prennent enfin leur juste place à l’écran, en amazigh, sans filtre, sans honte, sans traduction imposée.
Quand le cinéma kabyle devient un acte politique
Ce n’est pas un hasard si c’est Fouroulou qui remporte le Grand Prix. En ces temps de répression, d’interdiction, de falsification historique, le retour de Feraoun par l’image est un camouflet symbolique à tous ceux qui ont voulu museler la Kabylie.
Rappelons-le : Mouloud Feraoun, assassiné par l’OAS quelques jours avant l’indépendance de l’Algérie, n’a jamais été réhabilité par l’État algérien à la hauteur de son apport. Son œuvre, pourtant traduite dans le monde entier, reste marginalisée dans les programmes scolaires, en particulier dans sa langue d’origine.
C’est donc le cinéma kabyle indépendant qui prend le relais, qui transmet, qui sauve, qui résiste.
Ali Berkennou, artisan d’un cinéma enraciné et libre
Avec Fouroulou, le réalisateur Ali Berkennou signe bien plus qu’une adaptation : il offre une relecture sensible, incarnée, à hauteur d’enfant et de peuple. Fidèle à l’esprit de Feraoun, sans le trahir ni le muséifier, il donne une nouvelle vie à un récit fondateur que trop de jeunes ignorent encore.
Ce prix n’est pas seulement le sien : il appartient à la Kabylie toute entière, à tous ceux qui ont gardé vivante la langue, la dignité, et le combat culturel.
« Ils ont voulu nous enterrer, ils ignoraient que nous étions des graines. »
Ce proverbe mexicain pourrait être kabyle. C’est exactement ce que symbolise le sacre de Fouroulou à Agadir. Un retour à nos racines, un refus d’être effacés, une manière de dire — encore et toujours — nous sommes là.
Et nous ne sommes pas pauvres.
Nous sommes fils et filles d’une montagne qui ne s’incline jamais.
