Face à la censure du régime, le silence devient complicité

L’exclusion de KOUKOU Editions du Salon du livre amazigh d’At Wasif, sur ordre d’un ministère de la Culture transformé en commissariat idéologique, n’est pas un simple incident, un incident qui est devenu une constance.

C’est un énième acte d’un système qui a fait de la peur un instrument de gouvernance, et de la censure et de la manipulation un langage d’État. Mais ce qui choque le plus, au-delà de l’acte répressif lui-même, c’est le silence. Où sont nos intellectuels ? Où sont les voix qui, jadis, montaient au front au moindre soupçon d’atteinte à la liberté d’expression ? La peur les a-t-elle tous réduits au mutisme ? L’intimidation a-t-elle eu raison de leur conscience critique ? Cette exclusion arrive dans un contexte délétère : prisonniers politiques à la pelle, festivals interdits, cafés littéraires fermés, ventes-dédicaces empêchées, espaces culturel et politique sous surveillance.

Chaque initiative libre, chaque manifestation indépendante est perçue comme une menace. Sans oublier les tentatives de récupération que subissent les célébrations et ou commémorations de quelconque événement. Et chaque fois, la Kabylie semble être la cible désignée d’un pouvoir obsédé par une “unité nationale” imposée, uniformisante, et déconnectée des réalités.

L’affaire KOUKOU ne concerne pas seulement une maison d’édition. Elle concerne l’ensemble de la scène culturelle, et au-delà, tous ceux qui refusent que l’histoire, la langue et l’identité soient décidées dans les coulisses d’un ministère devenu chambre d’effacement. Le silence actuel des élites intellectuelles est d’autant plus assourdissant qu’il s’oppose à la mémoire d’un Printemps berbère qui avait été, en 1980, l’acte fondateur d’un réveil démocratique et culturel.

Qu’est-il donc advenu de cet esprit ? Confisqué, folklorisé, vidé de sa substance. Célébré partout mais plus en Kabylie ! Et pendant ce temps, ceux qui l’ont incarné sont bannis, et ceux qui devraient le défendre se taisent. Il est urgent de se réveiller. De soutenir les rares espaces de débat encore debout, comme ce Salon du livre d’At Wasif dont les organisateurs doivent souffrir des pressions infernales. De ne pas laisser la culture tomber entre les mains de bureaucrates doctrinaires et de censeurs déguisés. De rappeler que penser, écrire, publier et lire sont des actes politiques. Et que se taire, dans une ère de répression, revient à être complice.

Noufel BOUZEBOUDJA, écrivain

Communiqué de Koukou Editions

KOUKOU Editions exclu du Salon du livre amaziɣ d’At Wasif

Le Commissaire du Salon du livre amaziɣ d’At Wasif vient de nous notifier, par courrier électronique, l’exclusion de KOUKOU Editions de cette manifestation prévue du 30 avril au 3 mai. Selon des sources proches de la Wilaya de Tizi Ouzou, l’ordonnateur de cette fatwa est, une fois encore, M. Tidjani Tama, président de la Commission de censure du ministère de la Culture et des Arts, qui avait déjà exclu KOUKOU Editions du SILA et des salons régionaux de Bougie et de Tizi Ouzou. Notre plainte pour ‘’attentat contre les libertés, abus et usurpation de fonction’’ contre le fonctionnaire-militant qui avait autorisé, en 2023, les éructations de Hitler, de Mussolini et d’Eric Zemmour, est en cours d’instruction devant le Tribunal correctionnel de Hussein Dey.

Cette nouvelle agression contre une maison d’édition qui active dans la légalité, et dont les publications sont disponibles dans les plus grandes librairies du pays, revêt cette fois une symbolique bien particulière. Elle intervient quelques jours après le 45e anniversaire d’un Printemps berbère confisqué, réduisant le message de luttes et d’espoirs de ce sursaut de dignité à son expression folklorique.

Victimes collatérales de l’arbitraire qui a ciblé leur éditeur, des intellectuels de renom qui ont consacré leur vie à la promotion de la langue et de la culture amaziɣes, viennent d’être bannis d’un salon du livre dédié à l’amaziɣité : Tassadit Yacine – Salem Chaker – Mouloud Feraoun – Mouloud Mammeri – Nabile Farès – Farida Aït Ferroukh – Hadjira Oubachir – Ahmed Aït Bachir – Aomar Oulamara … Parmi eux, l’historien et militant du mouvement national Mohamed Harbi, qui a décidé, en octobre 2024, de prendre sa retraite politique, à l’âge de 90 ans, en envoyant un message fort à ses compatriotes : la traduction de ses mémoires en tamaziɣt.

Après l’interdiction du Festival Racont’Arts, du Salons du livre de Boudjima, des Cafés littéraires de Bougie et de Bouzeguène, des ventes-dédicaces dans les librairies, et de toute expression citoyenne non contrôlée, le Salon du livre amaziɣ d’At Wasif reste le dernier espace du libre-débat encore toléré dans la région. Pour déjouer les manœuvres des manipulateurs de l’ombre qui poussent au pourrissement, ce rescapé du culturicide programmé doit être protégé. Il faut soutenir ses organisateurs bénévoles, qui ont réalisé un travail remarquable malgré un environnement hostile et d’intolérables pressions. Il faut encourager les auteurs et les éditeurs présents à ce salon par l’acquisition de leurs livres. Malgré la chappe de plomb autoritaire qui a paralysé le pays, il faut participer aux conférences-débats pour dénoncer les provocations récurrentes qui, au nom d’une ‘’unité nationale’’ frelatée, ont soumis la Kabylie à un état d’urgence de fait accompli.

Dans la croisade lancée par les miliciens de la pensée pour promouvoir une idéologie sectaire, intolérante et rétrograde, KOUKOU Editions continuera d’opposer la force du droit, et d’assumer avec détermination une ligne éditoriale autonome et ouverte sur la société.

Alger, le 30 avril 2025

Arezki AÏT LARBI, Directeur de KOUKOU Editions

Noufel Bouzeboudja
Noufel Bouzeboudja
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