Stop à l'humilitation, agissons !
Libérer les prisonniers d'opinion Kabyles
Reprendre la mémoire confisquée : pour un fonds documentaire kabyle autonome
Par Stéphane Arrami – Kabyle.com
En 1930, l’orientaliste Louis Massignon publiait dans la Revue des Études Islamiques un article intitulé « Répartition des Kabyles dans la région parisienne ».
Sous ses traits de plume érudits, il dessinait une carte manuscrite : Gennevilliers, Nanterre, Saint-Denis, Ivry, Montreuil, Issy, Alfortville… chaque quartier y était associé à une “tribu”.
Ce document, aussi fascinant qu’ambigu, relevait moins de la mémoire que de la surveillance : un outil de contrôle administratif sur les travailleurs kabyles de la diaspora parisienne.
Une mémoire collectée sans les nôtres
Cette carte et d’autres documents similaires dorment encore dans les fonds de la Préfecture de police, des Archives nationales, ou du Centre d’Aix-en-Provence.
Elles ont été produites, archivées et citées par des chercheurs extérieurs — sans que les familles kabyles concernées n’aient jamais pu en reprendre la parole ou le récit.
Ce n’est pas un simple oubli : c’est le prolongement d’un système colonial où le savoir sur l’Autre se construisait sans lui.
Reprendre la main sur nos archives
Il est temps de changer cela.
À travers Amazigh Connect, nous amorçons aujourd’hui un programme de reconstitution documentaire.
Son but : retrouver, numériser, contextualiser et publier les archives éparpillées de la présence kabyle en France et partout dans le monde.
Mais cette fois, selon nos méthodes, nos mots, nos cadres éthiques.
Ce travail s’appuie sur une approche double :
Mémorielle, pour les confronter à la parole vivante : témoignages, carnets familiaux, photographies, récits d’exil.
Historique, pour identifier les sources officielles, administratives, policières, universitaires.
Partenariat avec les collectionneurs et institutions
Une partie de ces archives n’existe plus que dans des collections privées : photographes, familles d’anciens ouvriers, chercheurs, militants.
Nous travaillons à un réseau de partenariat avec ces collectionneurs, afin de :
- numériser les documents selon les standards professionnels des musées et bibliothèques (formats TIFF, fiches Dublin Core, métadonnées IPTC, etc.),
- créer un catalogue en ligne interopérable (compatible Omeka-S, Tainacan, ou CollectiveAccess),
- publier les documents sous forme de galerie muséale numérique, consultable et commentable par le public.
L’objectif n’est pas de centraliser les fonds, mais de fédérer un patrimoine commun, respectueux des droits et de la provenance de chaque pièce.
Des outils professionnels pour la mémoire
Nous utilisons des outils habituellement réservés aux institutions patrimoniales :
- Omeka S / Tainacan pour la publication et la description muséale,
- IIIF (International Image Interoperability Framework) pour la visualisation haute définition des images et cartes,
- normes METS / EAD / Dublin Core pour l’indexation archivistique,
- et des plateformes open-source (WordPress + plugins musée) pour relier ces contenus à Kabyle.com et Amazigh 24.
Ces outils permettront de publier des expositions virtuelles, des parcours historiques géolocalisés, et des corpus d’archives commentées, afin de rendre la mémoire kabyle accessible et partageable dans le temps long.
Kabyle.com : du média à l’archive augmentée
Depuis 1997, Kabyle.com a traversé les mutations du web sans jamais renoncer à sa vocation : transmettre.
Aujourd’hui, il se transforme en site mémoriel augmenté, où les archives dialoguent avec les vivants.
Chaque carte, chaque rapport, chaque photographie sera replacé dans son contexte, accompagné d’une notice critique et d’une lecture sensible.
Notre ambition est claire : reprendre la main sur nos récits.
Non pas pour les enfermer dans un musée, mais pour les faire circuler, les relier, les traduire, les transmettre.
Une mémoire libre, critique et universelle
La mémoire kabyle ne doit plus être étudiée comme un objet ethnographique : elle doit être reconnue comme une part essentielle du patrimoine humain.
Nos archives racontent des histoires d’exil, de dignité, de fraternité, et elles s’inscrivent dans la mémoire plus large des migrations et des luttes sociales.
Ce que Massignon a dessiné pour observer, nous le reprenons pour comprendre.
Ce que l’administration a classé, nous le réouvrons pour transmettre.
Ce qui fut un inventaire de contrôle devient aujourd’hui un atlas de mémoire.
Appel à contribution
Nous lançons un appel à toutes celles et ceux qui conservent des photographies, lettres, enregistrements ou documents familiaux liés à la diaspora kabyle.
Chaque archive, même modeste, peut contribuer à reconstituer cette histoire commune.
Les contributions seront numérisées, créditées et restituées dans une galerie publique en ligne, avec respect et transparence.
