Hocine Chebbah – Amsdrar d yellis-s

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Transcription

Papa, pourquoi pleures-tu en voyant cette montagne en flammes ?

Vient, ma fille…

Le père invite tendrement sa fille à s’approcher, ouvrant le livre intitulé « Kabylie, Complainte d’une terre brûlée – Amessedrar d yelli-s » de Hocine Chebah. Ils sont tous les deux assis, avec la petite fille posée sur les genoux de son père, écoutant attentivement le récit.

Je pleure ma fille pour éteindre le feu qui est en moi.

Cette montagne est la nôtre. C’est notre havre de paix qui brûle.

J’y suis venu au monde, elle a vu naître mon père, ma mère ainsi que tous nos ancêtres.

Mes frères et mes soeurs se sont sacrifiés pour elle.

Je pleure parce que depuis les temps immémoriaux, jamais elle n’a subi une agression aussi violente, aussi lâche, aussi barbare et qu’autrefois elle savait se défendre.

Je pleure parce que c’est une forteresse sacrée.

Tu sais ma fille, pendant les longs hivers rigoureux elle ne nous privait jamais de ses bienfaits.

Elle nous offrait son bois pour réchauffer nos corps, nos coeurs.

Ses arbres, qui brûlent sombrent notre univers ma chérie.

Enfants, on grimpait sur les branches et on jouait parmi les oiseaux.

Les Anciens les vénéraient et tenaient conseil à leurs ombres. On appelle cette assemblée tajmâat.

Nos mamans quand elles souffraient se confiaient à eux en secret comme à des amants fidèles et pleuraient en silence à leurs pieds en caressant leurs troncs, l’écorce rugueuse.

On dit que nos arbres ont une âme et qu’en se laissant aimer ainsi, ils mourraient de tendresse dans les bras de leurs maîtresses.

Nos arbres sont sensibles et affectueux mon enfant.

C’est pour cela qu’on leur donne des noms féminins comme toi ma chérie et toutes ces jolies filles pleines de grâce qui naissent dans nos collines.

Chez nous, l’énorme chêne se dit thafat, le gigantesque olivier tazemmurt, le frêne géant taslant que de jolis noms féminins mais la montagne se dit elle, adrar au masculin.

Elle porte un nom viril parce qu’elle est puissante et qu’elle nous protège de l’ennemi quand il arrive à l’improviste.

La roche qui sculpte le corps majestueux d’adrar se dit azru.

Il s’accroche fortement au flanc de la montagne.

Il laisse ruisseler sur son corps l’eau fraîche des sommets qu’il retient dans ses sources limpides à ses pieds.

Azru se couvre de pudeur en laissant travailler par les bras vigoureux de nos hommes.

Il soutient les murs épais sur lesquels repose asalas, cette lourde poutre centrale qui soulève les toits de nos maisons.

Si tu tends l’oreille au crépitement du bois, le soir, au coin du feu, tu surprendras une musique douce que nous chantaient nos mamans.

C’est notre langue maternelle ma fille.

Tslaled yir tafsut mara yefsi wedhfel

Elle sort de l’oubli à chaque printemps, après la fonte des neiges.

La neige s’appelle adfel, elle habille nos collines comme le burnous blanc dans lequel s’emmitouflent nos vieux pour vaincre l’angoisse de la solitude.

La montagne porte adfel comme un diadème sur son front.

Notre langue est sublime mon enfant, elle est raffinée, sensible et envoûtante.

C’est pourquoi mon peuple si brave et généreux en est si jalousement amoureux, parce qu’elle garde toute sa magnificence au féminin, malgré les incessantes attaques qu’elle subit au fil des siècles.

Taqvaylit est son nom, adrar neɣ (notre montagne) n’est qu’un talus de terre et de pierres sans taqvaylit is (sa langue).

Cette montagne et cette langue forment un couple divin que même la mort ne peut séparer.

C’est cet amour sensationnel qui me fait pleurer ma chérie, parce que je le vois scintiller dans tes yeux.

Il me raconte la merveille histoire de cette montagne qui brûle.

Un jour, elle me ramènera à elle et donnera vie à d’autres enfants qui à leur tour porteront plus loin sa voix.

Taqvaylit rayonnera alors parmi toutes les langues vivantes de la terre et chassera à jamais les ténèbres de nos montagnes.

C’est la façon à elle de nous témoigner son amour en veillant sur nous.

Dans notre langue, l’amour se dit thayri.

Tu sais ma fille, l’amour de la montagne ne meurt jamais.

Il est en chacun de nous, il est dans ces larmes qui me crèvent le coeur et à présent j’ai le sang, il est en toi.

Mais… tu pleures toi aussi ma chérie.

Je pleure Papa parce que je suis fière de toi, je suis fière d’être Kabyle.

C’est l’appel de notre montagne qui nous fait pleurer ma fille.

Je suis fier de toi moi aussi. Kem Taqvaylit (tu es une Kabyle).

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