Stop à l'humilitation, agissons !
Libérer les prisonniers d'opinion Kabyles
Libérer les condamnés à mort
L’autonomie régionale en Algérie n’est pas un choix, elle s’imposera
On me dit toujours que l’unité nationale serait menacée par l’autonomie régionale. Je réponds qu’elle n’a jamais existé et que l’autonomie régionale est au contraire la seule opportunité de la créer enfin.
C’est être aveugle et profondément sourd que ne pas voir la fracture nationale. Elle est là, visible et aussi perceptible que l’eau dans la mer. Se détourner de la vérité est une inconscience politique. L’Algérie sera, un jour ou l’autre, confrontée à une grave explosion, bien plus forte que les flambées de tension régionales connues par le passé.
Face au constat si flagrant on m’a toujours opposé l’argument de la dangerosité d’une telle opinion car elle créerait une division territoriale fatale pour l’unité nationale. Je l’ai déjà dit, la division est déjà là depuis si longtemps, je n’ai pas besoin de la provoquer. Au contraire, je veux encourager la formation de l’unité nationale. Mais elle ne peut être au détriment de la diversité des identités qui composent la nation.
Si on m’avance cet argument c’est qu’il y a justement une fracture béante. On me le dit avec tellement de force que je suis convaincu que cette certitude d’une unité nationale existante cache une frayeur d’affronter la réalité en face.
C’est comme toutes les certitudes que tente de nous faire croire le régime nationaliste et militaire depuis l’indépendance. Le pays est uni, la situation sociale et économique est au mieux et l’identité nationale plus que jamais solide sur les fondations de la révolution, des chouhadas, de l’histoire et bla, bla, bla…
Alors mes interlocuteurs passent immédiatement à la seconde étape, le palier supérieur. Ils brandissent la menace de « guerre civile » comme s’ils allaient m’effrayer. Je le suis déjà tellement par la situation actuelle que je suis imperméable à tout ce qui pourrait m’en dissuader.
Une drôle d’identité nationale unifiée
C’est peut-être moi qui divulgue des opinions dangereuses sur des réalités fausses. Le printemps berbère n’a jamais existé, les revendications des droits légitimes n’a été entendu par personne si ce n’est pas mon esprit pervers.
La langue officielle de l’État est une fausse information, l’interdiction de brandir un drapeau autre que l’officiel n’entraîne pas une incarcération et ainsi de suite. Je suis un propagateur d’idées fausses et gravement attentatoires à l’unité nationale.
Il ne se passe pas un jour sur un réseau social où je ne constate pas l’affirmation d’un déni des droits et libertés fondamentaux de la Kabylie, pas un seul jour et pas qu’une fois dans la journée. J’ai probablement des visions et une obsession.
Et ce sentiment si viscéral ne s’exprime pas seulement par des personnes extrémistes et non instruites, c’est tout à fait le contraire. Je trouve cela légitime et c’est la raison pour laquelle je suis conscient qu’il y a un grave danger. Lorsqu’une vérité est aussi souvent exprimée avec force et conviction, c’est que le ressenti est arrivé à un paroxysme. Mais je dois mal comprendre le français et que tout cela n’est qu’une illusion de mon esprit.
Elle n’a pas besoin de me le dire chaque jour si la personne n’a pas le sentiment qu’elle est bafouée dans son identité et qu’il faut le répéter encore et encore.
Je parle de l’histoire de « l’Espagne musulmane », on me réplique immédiatement que ce sont les berbères qui y étaient. Je parle du beau temps en Espagne (j’y suis très souvent), j’ai une avalanche de réponses me disant combien la Kabylie en a autant et un meilleur. Je parle de démocratie et des démocrates, systématiquement on veut me persuader que seule la Kabylie a combattu pour l’installer. Et c’est de même lorsque je parle d’oranges, de montagnes, de culture ou de football. Et ne parlons pas de l’huile d’olive, je ne me risque jamais de contredire qu’elle serait la meilleure.
Je l’ai déjà dit, celui qui ne voit pas ou n’entend pas ce cri aussi viscéralement exprimé est un aveugle, un sourd ou un imbécile. Je ne saurais l’expliquer mais j’ai toujours entendu cette complainte, depuis ma tendre enfance. J’ai peut-être l’esprit plus pervers que d’autres et des oreilles déficientes.
L’échec du tamazigh comme langue nationale
Je l’avais tant écrit, tant proclamé, l’enseignement du tamazigh dans toutes les écoles algériennes était une mesure aussi hypocrite qu’impossible. C’est une annonce qui avait pour but de dissimuler la question identitaire.
Faire apprendre une langue à une population d’une manière massive est une chimère. Selon le principe historique, pour qu’une langue s’installe dans une population il faut une colonisation et du temps. La langue turque ne s’est jamais installée alors que le temps le lui permettait parce qu’il lui manquait l’une des deux conditions, une colonisation par le peuplement. La langue arabe ne s’est pas installée par une colonisation de peuplement mais le temps de présence et l’islamisation ont finit par l’imposer. Quant au français, il cumulait les deux conditions.
Et lorsqu’une langue s’installe elle crée un environnement anthropologique qui est son socle et son enracinement. Faire parler le tamazigh à toute une population qui ne le parle plus depuis plus d’un millénaire est une imbécillité ou une manœuvre politique dilatoire.
Alors que reste-t-il comme solution si ce n’est l’autonomie régionale qui possède cette base anthropologique ?
La régionalisation, très imparfaite mais seule voie vers l’unité nationale
Dans les années quatre-vingt-dix, nous avions cru naïvement qu’ils avaient mis un genou à terre suite au soulèvement populaire. Nous pensions s’y engouffrer avec notre force militante. Nous avions proposé l’autonomie régionale et le mode de scrutin proportionnel intégral pour les élections législatives dans un mémorandum remis au général-président.
Si la régionalisation avait été à peu près comprise, il a fallu batailler ferme en communication pour expliquer ce qu’était un mode de scrutin et ses conséquences. Le mode majoritaire avait l’énorme inconvénient d’annuler pour un parti politique toutes les voix dans les autres circonscriptions et seul le territoire où il était ancré majoritairement était le seul à avoir des représentants élus.
Le scrutin proportionnel a un grand inconvénient de gouvernance, nous le savons mais il permet au moins de représenter tout le monde par son bulletin de vote, où qu’il soit dans le territoire national. Ce n’est pas une certitude de succès mais il n’en existe pas d’autre pour l’affirmation de la diversité.
L’autre avantage de la régionalisation est de permettre à toutes les cultures et langues nationales de s’exprimer et de jouir d’une visibilité qui calme les tensions crées par le sentiment d’une ostracisation.
Quel danger peut avoir la reconnaissance officielle d’une langue et d’une culture au niveau régional ? En tout cas moins que la volonté d’imposer une langue et une culture qui ne correspondent pas à l’identité profonde de cette région.
L’autonomie régionale peut contrer le centralisme du pouvoir
Un pouvoir autoritaire ne se sent bien que dans un ordre rigoureusement unifié derrière sa propagande. Avec l’autonomie régionale se forme petit à petit des poches d’expressions politiques de plus en plus autonomes qui auraient plus de chance de contrer un pouvoir horizontal et sans partage.
Et puis la régionalisation, avec l’apparition de la diversité crée une autre rupture, plus fondamentale, celle de dénier à la culture et propagande officielle son hégémonie.
Pour conclure je dirais qu’il y a deux remarques qui me sortent de la rêverie béate et me maintiennent dans une vision prudente du risque. La première est que non seulement je n’ai aucune certitude que la régionalisation fonctionne. Mais, répétons-le, le système épouvantable présent est encore plus risqué. Face à deux voies risquées, je préfère celle qui a sa légitimité et son droit.
La seconde est l’incertitude de ne pas voir la division administrative régionale compliquer l’état actuel sans pour autant apporter ses bienfaits. Là aussi, c’est un risque mais bien plus légitime et prometteur que l’état actuel.
Autrement dit, j’ai toujours du mal à me convaincre des propos de mon bourreau qui essaierait de me convaincre qu’un autre bourreau serait plus impitoyable. C’est un état d’esprit qui n’est pas le mien et ne le sera jamais. La démocratie est toujours un pari mais le seul possible à donner de l’espoir.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité