Alger-Tunis – Le dernier voyage de Si Mhand ou Mhand

« Si Mohand ou Mhand nous a toujours été présenté comme un marginal , un poète errant , un noceur invétéré toujours dans les vapeurs de sa pipe de Kif ! Ce cliché répandu par les colonisateurs français et leurs élites serviles francophiles et islamo-conservatrices, a occulté le rôle révolutionnaire de sa vie et l’essence universaliste de son œuvre ! Cet ouvrage revisite la vie et l’œuvre du plus grand poète africain et méditerranéen de tous les temps …  » Rachid Oulebsir

(Écrit après ma lecture du livre de Rachid OULEBSIR paru aux éditions Afriwen)

Alger Tunis - Le dernier voyage de Si Mhand ou Mhand

Dans « LE DERNIER VOYAGE DE SI MOHAND » je me remémore mes ancêtres trouveurs qui arpentaient la Terre d’un quartier à l’autre et portaient parole à ses gens pour en faire des pays.

Ces poètes chantaient parfois quand le sentiment profond vibrait dans leur corps fait poème, et ils s’offraient en dons comme la nourriture fraîche des travaux et des jours.

Ce dernier voyage du troubadour Si Mohand – quand sa voix s’est tue au bout de son souffle,  me rappelle à mes chemins, et je continue, ma marche, reposé par ses dernières paroles – qui suivent les miennes derrière chacun de mes pas, dans ma hâte de satisfaire mes besoins élémentaires comme l’eau, le pain, l’habit, le sommeil.

Si Mohand versifiait la vie car il en récoltait tous les fruits, les plus sucrés et les plus amers aussi, par brassées il remplissait sa besace et alors, à l’arrêt, sur seuil hospitalier de quelques humains,  il en ressortait l’essence neuve des mots frais sortis de l’âtre de son cœur et les humains les écoutaient comme les oracles sortis d’une arche douée de raison.

Les égarés devenaient naufragés volontaires et l’arche le sanctuaire maternel de leur pays où, désormais, ils prenaient des noms de capitaines pour enseigner à leurs rejetons les nobles manières pour atteindre le beau.

Si Mohand n’avait pas non plus accepté de troquer son âne contre une machine à bruits puante qui défonce les paysages et fait fuir les oiseaux. Il a préféré l’éternel amour à l’éphémère progrès.

Si Mohand a marché à pied comme marchait l’humaine déchaussée. Alors, il a gueulé comme je gueule aussi,  après les gens qui se sont laissé passer le licou, et qui ont vendu leur intelligence pour une idée à la mode, et qui courtisent des fantômes, idoles des cupides que la malice inspire.

Mais que faire quand on a que sa gueule et ses deux bras pour battre l’air ? Que faire quand la raison sans cœur enferme les mots et sort les armes ? Que faire quand l’égaré accuse ses guides de l’avoir perdu ? Que faire ?

Des poèmes ! Des poèmes neufs qui naissent de la source d’un cœur libre à l’eau de la bouche et que la langue clapote en éjectant les mots !

Dire le dernier dire que, si l’on ne l’a pas entendu, les ténèbres s’épaissiront et allongeront la nuit qui paraît déjà interminable.

Le dernier voyage, le dernier pas avant la victoire sur son temps, qui n’aura jamais fatigué les marches des valeureux et, au matin suivant, se lève un pays mêlant ses gestes aux rayons du Soleil infini.

Et pourtant il brûle le désir que l’on réprouve tandis que la Lune adoucirait la rugueuse caresse des guerres contre soi-même.

Et Si Mohand allume sa pipe de haschich, pour se cacher derrière l’écran de fumée de son siècle. Son siècle  traversé des lumières qui ne brillent que sur les étoiles méritées des héros, une nuit à jamais blanche, où le veilleur Si Mohand entretient le feu de l’amitié, le feu autour duquel se partage l’eau, le pain, l’habit et le sommeil.

Si Mohand ! Tu m’écoutes, je suis assis près de toi dans la lumière des flammes et je parle comme pour me prouver ta présence, car mon chagrin est immense et menace de me noyer plus loin.

Au bout de mon souffle, y aurait-il une joie ? Oui, tu me dis oui, oui, à la fin du poème tu auras créé un Univers où les pays étrangers vont ensemble faire une terre d’exil pour ceux qui ont échoué dans le silence absolu de la modernité, tandis que les poètes se relèveront de leur échouage après que leur sentiment ait migré dans leur  poème.

Mais qui écoute avec moi les vers étranges de Si Mohand? Les anciens à l’oreille curieuse et doués de parole; les anciens qui transforment tes dires en parlure familière, et les nouveaux mondes, enfants qui imitent les ancêtres, en mimant leurs mots et chantant leur naïve joie – à laquelle ils ajoutent les gestes des travailleurs en route sur tous les chemins qui se feront dans ce jour.

Dans ce livre du dernier voyage de Si Mohand, ma parole n’est plus prisonnière, mes mots sont choisis, ma lecture est sereine.

Par ma fenêtre j’entends le bruit de la place publique rendue aux marchands et je tends l’oreille, je ne perçois que des paroles essoufflées, des murmures enfantins éteints, des cris de gorges serrées, et, et le silence pesant du bruit assourdissant de la machine qui produit des signaux de rassemblement, des hurlements de sirènes,  des avertisseurs de charges,  comme si plusieurs troupeaux se croisaient, allant vers des destinations reconnues seulement par des intelligences muettes.

La nature bout elle de tant d’embrassements que je vais allumer un contre feu pour éteindre cet incendie ultime. C’est le début de mon voyage, les premiers gestes de mon poème d’aujourd’hui, les premiers mots de ma vie.

Après le dernier voyage de Si Mohand en poésie.

Pierre Marcel Montmory – trouveur

Ce texte est contenu dans le livre « VOYAGE SOLITAIRE »

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