Said Doumane : « La Kabylie sombre dans la pauvreté »

Saïd Doumane, originaire d’Aït-Hague (Larbâa Nath Yraten), ancien prisonnier politique en Algérie, maître de conférences à l’université de Tizi-Ouzou et chercheur à l’INALCO de Paris, a eu l’amabilité de répondre aux questions de Kabyle.com.

Existe-t-il, historiquement, un « modèle économique Kabyle » ? Si oui, a quelle période s’est-il développé ? Quelles en étaient les structures (agriculture, artisanat, commerce intra-régional, échanges avec les régions étrangères etc…) ?

Saïd Doumane : On ne peut pas parler de modèle économique Kabyle au sens de système économique reproductible dans le temps et dans l’espace. Ce que l’on peut dire, c’est que la Kabylie a pu (et a su) inventer et mettre en �Â�uvre au cours des siècles qui ont précédé la colonisation française, une forme d’économie pré-capitaliste ou de subsistance comme la qualifiaient les anthropologues, qui a fonctionné de façon relativement satisfaisante pendant tout le temps où les kabyles ont réussi à sauvegarder une certaine autonomie du  » pays kabyle « .

C’était une économie… kabyle dans la mesure où elle était fondée, pour l’essentiel sur des ressorts endogènes : utilisation intensive de toute la force de travail disponible et exploitation parcimonieuse et rationnelle du peu de ressources naturelles disponibles, notamment la terre. Les structures productives de cette économie étaient polyvalentes : autour de la production agricole, arboricole et le petit élevage se combinait un ensemble d’autres activités artisanales et manufacturières (forge, petite métallurgie, armurerie, orfèvrerie..) , réseau d’échanges internes (leswaq ou marchés hebdomadaires par dizaines) et externes (colporteurs par milliers et quelques comptoirs dans les grandes villes d’Algérie et même d’Afrique du Nord).

Cette économie, insérée dans une organisation sociopolitique appropriée (solidarité familiale et villageoise, mobilisation générale pour les grands travaux…) avait atteint un certain niveau de productivité et faisait vivre une population dense et nombreuse.

Quelle a été l’influence économique des Turcs (prélèvement d’impôts, coûts des guerres successives, revenus de la piraterie…) sur la Kabylie, entre le XVIe et le XIXe siècle ?

L’arrivée des Ottomans au début du 16ème siècle sur le littoral algérien était motivée officiellement par l’appel des habitants d’Alger pour solliciter de l’aide afin de se prémunir contre les incursions de la marine espagnole. En réalité, les Turcs avaient un objectif plus conforme à leurs intérêts : utiliser les ports et les mouillages de la rive sud de la Méditerranée pour les besoins de leur piraterie. Ce qu’ils firent sans état d’âme et surtout sans se soucier de l’intérieur du pays auquel ils tournèrent le dos pour l’essentiel. Du moins tant que la piraterie était d’un grand rapport pour eux. C’est dire que les Ottomans exerçaient des pressions fiscales sur les autochtones surtout lorsque leurs prises en mer déclinaient.

Concernant la Kabylie, l’emprise des Turcs n’était effective que dans les plaines, les vallées et les grands axes de communication où ils avaient édifiés des bordjs (fortins militaires) entourés généralement de tribus dites makhzen, à leur solde. Les tribus kabyles avaient échappé, dans leur grande majorité, à l’impôt turc, à l’exception de celles établies dans les vallées et les piémonts. Toutefois, elles étaient soumises, quand elles ne pouvaient pas se frayer le passage par la force, à d’importants droits et taxes de passage et d’accès aux marchés des villes, des plaines et des hauts plateaux.
Globalement, sous les Turcs l’économie kabyle était quelque peu perturbée mais demeurait encore vivace. D’une certaine façon, la présence turque avait, paradoxalement, renforcé le savoir-faire artisanal et manufacturier kabyle en poussant certains artisans des villes (Alger, Blida…) pressurés par le fisc turc, à se réfugier dans le massif montagneux kabyle.

Quant aux revenus de la piraterie, ils n’avaient servi qu’à entretenir les dignitaires turcs, leurs clientèles (militaires, marchands) et le sultan de Constantinople.

Détrôné par les français, le dey Hussein, en quittant Alger en 1830, avait pour seul souci d’emporter sa fortune (les Français l’autorisèrent à embarquer 50% de ses biens).

« Le corps expéditionnaire français met à sac la Kabylie »

Quel impact a eu la guerre de conquête française de la Kabylie (1853-1871) sur les structures économiques kabyles ?

Le maréchal Randon surpris en 1857 par les ouvrages de génie construits par les résistants kabyles pour se défendre, avait compris qu’au-delà de la bravoure humaine, il y’avait un soubassement économique et matériel. Il ordonna alors de « faire disparaître les instruments d’autonomie et d’indépendance de cette région » (cf C.A Julien : histoire de l’Algérie contemporaine…). Le général Lallemand aux commandes du corps expéditionnaire lancé contre le massif kabyle en 1871, tout autant surpris que son prédécesseur, décida d’en finir et mit à sac la Kabylie. Elle ne s’en relèvera pas économiquement et politiquement.

« la présence française en Kabylie n’a rien apporté au plan économique »

On ne peut donc pas dire que la colonisation française, avec son apport en savoir faire agricole moderne et en infrastructures (routes, éducation, aéroport de Vgayet, port pétrolier de Vgayet), a été bénéfique pour le tissu économique kabyle ?

La colonisation française en Algérie était, pour l’essentiel, une colonisation agraire ; l’exploitation minière et surtout celle des hydrocarbures sont venues sur le tard. La Kabylie, très peu pourvue en terres agricoles et dénuée de ressources minières et énergétiques n’était pas d’un grand intérêt pour les colons et les entreprises françaises qui l’ont, de ce fait, relativement épargnée. Par contre, les entrepreneurs français, fermiers ou industriels, oeuvrant en Algérie ou en métropole, ont remarqué depuis longtemps la dextérité et l’endurance des ouvriers kabyles (les enquêtes du capitaine de génie Carette ont signalé, dès les années 1840, les qualités du travailleur kabyle).

Aussi, après l’insurrection de 1871 et la répression qui s’en est suivie (tueries, emprisonnements, exils, déportations, destruction systématique des bases matérielles de l’économie kabyle), des milliers d’hommes quittèrent la Kabylie et envahirent les plaines et les villes, à la recherche de moyens de subsistance. Cette main d’�Â�uvre taillable et corvéable à merci fit le bonheur des colons, avant de faire celui des industriels métropolitains ; les uns et les autres se la disputèrent pendant des années. Si les colons purent s’approprier cette main d’�Â�uvre jusqu’au début du 20ème siècle, ce fut de moins en moins le cas à partir de la 1ère guerre mondiale (l’émigration kabyle en France métropolitaine s’élève à environ 20000 en 1915, 30000 en 1917 et 80000 à la fin de la guerre et ne cessera d’augmenter après, surtout depuis la 2ème guerre mondiale).

Ceci pour dire que la présence française en Kabylie n’a rien apporté au plan économique, sinon la prolétarisation des paysans et des artisans kabyles ; ce n’étaient point les quelques tentatives de relance de l’artisanat et les quelques infrastructures lancées à partir 1945 et à l’occasion du Plan de Constantine initié par le général de Gaulle (après 1958) qui allaient « relancer le tissu économique Kabyle ». En résumé, on peut dire que la Kabylie n’a survécu depuis 1871 que grâce aux transferts de sa diaspora, interne et externe.

Aujourd’hui encore, la Kabylie ne peut se passer de l’apport de ses émigrés. Mais cette « manne » s’amenuise d’année en année ; c’est la fin d’une époque pour la Kabylie. Son avenir réside, désormais, dans son développement interne ; mais le chemin est fort tortueux parce que la perspective qui lui est tracée par l’Etat algérien est celle de sa dilution dans le magma national.

« La Kabylie sombre de plus en plus dans la pauvreté »

Durant la période du « socialisme algérien » de 1962 à 1988, pensez-vous que la Kabylie ait connu un certain enrichissement économique (via la création d’un nouveau tissu industriel) ou un appauvrissement radical (du fait du sabotage systématique de l’agriculture durant la « Révolution agraire).

A l’indépendance, le pouvoir qui a succédé à l’administration coloniale a opté pour une politique économique centralisée, en conformité avec le modèle étatiste mis en place : monopoliste et jacobin. L’extinction des diversités régionales est, dès le départ, programmée.

La première conséquence qui allait en découler est l’éviction de la paysannerie et des petits entrepreneurs polyvalents à vocation régionale ou locale. La technobureaucratie étatique est préposée aux affaires économiques tandis que le parti unique (le FLN) est chargé du contrôle politico-idéologique.

Conçue et orientée de haut en bas, l’industrialisation du pays consistait, au départ, à implanter trois grands pôles industriels à Alger-Réghaia (métallurgie, et construction mécanique), à Oran-Arew (pétrochimie) et Annaba-Constantine (sidérurgie, mécanique).

Jusqu’à l’avènement du boom pétrolier des années 1970, rien d’important n’a été entrepris dans les régions de l’intérieur, sinon le saupoudrage de quelques rares unités industrielles destinées beaucoup plus à imprimer la présence et l’autorité de l’Etat qu’à promouvoir une politique de développement. A partir de 1973-1974, l’afflux de pétrodollars dû à la substantielle augmentation du prix du pétrole sur le marché international, a permis un certain élargissement de la base industrielle de l’Etat ; la Kabylie bénéficie, en gros, d’un complexe électroménager (Tizi-Ouzou) , d’une infrastructure pour l’exportation du pétrole (Vgayet) et de quelques unités de moindre envergure dans les vallées du Sébaou, de la Soummam et à Tuviret ( briqueterie, coutellerie, confection, meuble, minoterie… ). Durant cette période, le taux de chômage a beaucoup régressé et on a cru à une volonté étatique de favoriser le développement économique de la région.

Mais, à partir de 1980, on assiste à un net reflux des investissements étatiques, reflux directement lié à la protesta inaugurée par le « printemps berbère ». Une sanction politique pernicieuse non assumée dont la Kabylie continue à payer le prix et de façon encore plus draconienne depuis avril 2001. Aujourd’hui, délaissée économiquement par l’Etat et sans projet de développement propre, la Kabylie sombre de plus en plus dans la pauvreté. L’émigration de travail se raréfiant d’année en année, l’économie traditionnelle abandonnée, les subsides publics se tarissant, les investissements privés et internationaux découragés, la Kabylie est économiquement dans l’impasse et arrive à un tournant décisif de son histoire.

La révolte est quotidienne, la société se délite et les jeunes cherchent à partir. La débrouille individuelle tend de plus en plus à devenir la seul échappatoire à une crise collective. Il est plus que jamais urgent de réfléchir et d’agir aux voies et moyens d’en sortir. Une chose est sûre : il n’y a rien à attendre de l’Etat algérien dans sa configuration actuelle.

« La Kabylie est sur-administrée ! »

Est-il exact que la Kabylie possède le taux de recouvrement de l’impôt le plus élevé du pays ? Qu’est ce qui expliquerait un tel phénomène ? Est-ce aussi exact que pour 100 DA d’impôts verses à l’Etat central par la Kabylie, seuls 30 DA lui reviennent sous formes d’investissements publics divers ?

Divers observateurs, notamment des économistes spécialisés dans l’économie régionale et certains élus locaux de l’opposition ont fait ce constat.
S’il est connu que la Kabylie est soumise à un taux de recouvrement fiscal des plus élevés en Algérie, en raison du contrôle administratif et policier étroit dont elle a toujours été sujette (de ce point de vue là, elle est sur-administrée !), les données chiffrées et quantitatives en ma possession, tirées des bulletins statistiques officiels, nationaux ou de départements ( de toute façon peu fiables), ne me permettent pas de vous confirmer l’exactitude des chiffres contenus dans votre question. Il s’agit, peut-être, de résultats d’une étude ou d’une enquête privée dont je n’ai pas connaissance.

« En Algérie, la corruption est partout »

Les jeunes kabyles manifestent aujourd’hui une grande soif d’entreprendre, comme le montrent les chiffres de créations de petites entreprises. Quels outils (institutions financières, cadre juridique) seraient nécessaires pour voir cette volonté d’entreprendre se concrétiser de manière plus efficace ? Le gouvernement algérien et les autorités locales (Walis, APCs) prennent-ils des mesures dans ce sens ?

L’Algérie, dans son ensemble, souffre de la chape de plomb d’un Etat de type patrimonial c’est-à-dire où les détenteurs du pouvoir considèrent que les ressources du pays leur appartiennent ( la propriété se confond dans leur esprit avec l’autorité : plus on est élevé dans la hiérarchie étatique, militaire ou gouvernementale, plus on peut s’accaparer en toute bonne conscience des richesses nationales ).Dès lors, ils se comportent comme si les aspirations des citoyens à entreprendre, à investir, à accumuler ou à s’enrichir en dehors de leur sérail, de leur parrainage ou copinage, sont suspectes, voire dangereuses.

C’est la raison pour laquelle, à mon sens, l’investissement privé, régional, national ou international en Algérie n’arrive pas à se frayer un chemin dans les méandres de ce que l’on appelle de façon confuse et impersonnelle la bureaucratie. Il est plus difficile, en Algérie, de créer une petite fabrique de crayons que d’importer, à coups de milliards, des fournitures scolaires ou de bureau. Mais n’importe pas qui veut ! Dans ces conditions, que les jeunes de Kabylie ou d’ailleurs, rencontrent des difficultés ou des blocages dans leur désir d’entreprendre, de trouver du travail ou de s’organiser pour mieux s’exprimer et se défendre, n’a rien de surnaturel.

Les difficultés résident dans les différents obstacles administratifs à surmonter, des pots de vin à verser et des interventions à solliciter. Il existe parfois des textes et des lois adéquats, notamment en matière de crédit bancaire ou de procédure dite « guichet unique » mais encore faut-il que ces textes ou ces lois soient effectifs et applicables.

En Algérie, le détenteur du pouvoir, quel que soit son niveau hiérarchique, fait sa loi et il n’y a point d’instance de recours, à fortiori quand il s’agit de jeunes citoyens sans moyens ni appuis ; il reste pour les plus tenaces la débrouille ou le système « D » avec le risque de tomber dans l’infraction. Seuls ceux qui ont les moyens « d’arroser » et ceux qui ont des entrées solides dans les différents rouages administratifs tirent leur épingle du jeu. Dans ce contexte, la libéralisation de l’économie n’est qu’un trompe l’�Â�il et sert, en définitive, de paravent pour blanchir des fortunes amassées grâce à des positions acquises dans l’appareil étatique.

« La corruption est consubstantielle à la nature () de l’Etat (algérien) »

Le rapport de la commission Issad sur les événements du Printemps Noir de 2001 a révélé une corruption très répandue en Kabylie, affectant aussi bien les corps de l’état que la classe politique locale. Cette corruption est-elle un frein au développement économique ? Peut-on évaluer le poids de cette corruption et le manque à gagner pour l’économie ?

La corruption est consubstantielle à la nature patrimoniale de l’Etat ; tout postulant à l’entrée dans le monde des affaires ne peut être admis dans un créneau que s’il en paie le prix politique et financier. Elle est partout, en Kabylie pas plus qu’ailleurs ; ce qui fait qu’elle est plus visible en Kabylie, c’est, me semble-t-il en raison du contexte politique local : la corruption y est utilisée comme instrument de neutralisation de la contestation politique. On « achète » certains acteurs politiques, généralement les plus fragiles socialement et matériellement et on entretient l’insécurité et le désordre pour faire pression sur les investisseurs potentiels.

En matière de corruption, comme l’a écrit si pertinemment le Quotidien d’Oran en date du 28/01/2005  » l’erreur à ne jamais faire c’est d’étaler le problème en public, recourir à des journaux (…) car (…) vous ne pouvez rien prouver (…). Ce que vous récoltez, c’est le malheur d’être définitivement grillé dans le circuit des affaires (…). C’est tout le monde qui se ligue contre vous, même vos propres amis puisque vous leur portez préjudice. »

Il est évident que la corruption est un frein au développement, pire, elle est rédhibitoire (des études de la Banque Mondiale sur certains pays d’Afrique le montrent amplement). En Algérie, on parle occasionnellement de lutte contre la corruption mais tout se passe comme si l’évocation circonstancielle de ce fléau avait pour objectif de mieux l’occulter. Il arrive aussi, à certaines périodes, qu’on expose à la vindicte populaire un bouc émissaire (pas toujours du menu fretin !) pour mieux protéger l’ensemble du système. La dernière affaire en date médiatisée (les autres sont pour la plupart tues), l’affaire Khalifa, dont tout le monde sait qu’elle est un gigantesque détournement d’argent public, finira sans doute dans les oubliettes parce qu’elle implique de grosses pontes du régime.

Quand en 1999, Djilali Hadjadj, journaliste à El Watan et médecin de profession a dévoilé l’un des scandales du marché (importation) du médicament et du matériel médical (cf. son livre : Corruption et Démocratie en Algérie), l’affaire sera vite étouffée. Les exemples ne manquent pas. Tout le monde imagine le poids de cette corruption sur l’économie du pays mais personne n’est en mesure, pour l’heure, d’en étudier la teneur et en évaluer l’impact sur l’économie nationale. On sait, toutefois, comme l’a avoué un commis du pouvoir à Djilali Hadjadj qu’en matière de gestion des biens publics  » la règle est d’abord de s’enrichir avant d’enrichir son pays » (cf. le Monde Diplomatique de septembre 1998).

« Le développement économique des pays du nord de la Méditerranée a pris son envol à partir de régions disposant d’une identité propre. »

Récemment, le magazine britannique « The Economist » a établi un classement des pays « arabes ». Sur le plan de l’ouverture économique, l’Algérie est avant-dernière, juste devant la Libye. Et l’article ajoute « Dans un pays en guerre, occupé par des armées étrangères, la situation économique serait meilleure. » Que cela vous inspire-t-il ?

L’Algérie est, hélas, mal classée dans de nombreux domaines : couverture alimentaire, situation sanitaire, éducation, droits de l’homme, agriculture et industrie, taux de chômage…

Mais il y’a la manne pétrolière et gazière (bon an mal an, 20 à 25 milliards de dollars) qui sert de cache-misère et surtout de force de négociation avec les partenaires étrangers. Selon une expression utilisée par des observateurs avertis, l’Algérie est un pays riche où la majeure partie de la population est pauvre !

« Le partenariat euro-méditerranéen pourrait aussi constituer une opportunité pour la Kabylie mais encore faut-il qu’existent une économie kabyle »

Pensez-vous que les accords d’association Euro-méditerranée constituent une chance pour la Kabylie ? Ou bien la Kabylie, déjà réduite à être la banlieue d’Alger, ne risque-t-elle pas de devenir la banlieue de la banlieue de l’Europe ?

Le partenariat euro-méditerranéen tel que préconisé par la déclaration de Barcelone en 1995 est susceptible d’être une chance pour les 9 pays du sud de la Méditerranée qui y ont pris part. A fortiori pour l’Algérie dont le système productif, excepté les hydrocarbures, qui a évolué dans un cocon artificiel et un protectionnisme mortifère jusqu’au début des années 1990, a besoin de se frotter à la réalité économique extérieure. Mais encore faut-il adapter ce système productif désuet aux règles de fonctionnement de l’économie en vigueur dans le pourtour méditerranéen, dans la perspective de la zone de libre-échange euro-méditerranéenne prévue pour 2010.

Cela pourrait aussi constituer une opportunité pour la Kabylie et les autres régions d’Algérie mais encore faut-il qu’existent une économie kabyle et au delà d’autres économies régionales : aurésienne, oranaise, saharienne…, à même de pouvoir faire vis-à-vis et s’insérer dans un réseau d’échanges et de complémentarités de systèmes productifs différents.

Ce n’est, malheureusement, point le cas ; l’Etat algérien ayant entravé toutes les potentialités régionales au nom de l’homogénéisation territoriale et sous le fallacieux prétexte que les spécificités régionales (y compris économiques !) étaient néfastes à l’unité nationale. Les décideurs algériens ignoraient -ou feignaient d’ignorer- que le développement économique des pays du nord de la Méditerranée a pris son envol à partir de terroirs et de régions disposant d’une identité propre ; c’est cet enracinement territorial et régional qui est, en effet, à la base du foisonnement industriel national des pays développés (cf. F. Braudel : Civilisation Matérielle et Capitalisme…).

Que peut apporter aujourd’hui la Kabylie à la Catalogne où à la Toscane par exemple dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen ou de coopération inter-régions méditerranéennes ? Pas grand-chose dans l’immédiat sinon la force de travail de sa jeunesse. A l’inverse, la Catalogne et la Toscane peuvent lui vendre une multitude de services, de produits industriels et agricoles, y compris de l’huile d’olives et des figues ! Pourtant, ce sont toutes les trois des régions méditerranéennes présentant des potentiels similaires, sauf que les deux régions de la rive nord évoluent dans le cadre d’Etats modernes tandis que la Kabylie est sous l’emprise d’un Etat anachronique. Là est la différence.

Entretien réalisé par Azzedine Ait-Khelifa et Yidir Djeddai

Stéphane Mérabet Arrami
Stéphane Mérabet Arrami
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