Mokrane Maameri, l’art d’inspiration kabyle pour écrire un sonnet

Seul et loin de tout que soit en voyage ou en confinement. Un sage poète au regard perdu dans l’horizon se souvient de tout. La guerre civile des années 90, l’éloignement des siens et le déguerpissement de ses amis. Avec « L’Écume des affects et autres sonnets de résilience », le poète et écrivain Mokrane Maameri signe un superbe recueil de poésie en Sonnet, qui avec d’autres œuvres de la rentrée littéraire, réaffirme la puissance des mots pour désigner les malheurs et les bonheurs aussi.

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L’Écume des affects et autres sonnets de résilience,
de Mokrane Maameri,
Belelan, 100 p.

Sur les sentiers cabossés qui sent les odeurs des feuilles mortes d’automnes se formaient ça et là en marécages et où s’entassaient en l’état d’abandon des matériaux afférant aux travaux de construction et d’agricultures. Il y a pêle-mêle, des pelles, des fossiles, des brouettes, et autres outils mais aussi des silhouettes d’hommes, de femmes et des enfants qui jouaient au jeu du cache-cache et du vieux du village emmitouflé dans son burnous blanc au bout de ses forces pose, tête sur le bout de sa canne rangé par la honte que le poète Mokrane Maameri contemplait depuis son exil.

Dans son nouveau recueil, somptueux texte en sonnet intitulé « L’écume des affects et autres sonnets de résilience », Mokrane Maameri s’approprie toutes ces choses en les prenant pour sienne, comme sa vie. Universitaire et spécialiste de la littérature, auteur de recueil de poésie, de recueil de nouvelles et d’un roman, Mokrane Maameri se retrouve en exil après avoir fuit la barbarie islamiste qui sévissaient en Algérie. Jour après jour, entre un pays qui l’accueil et lui offre l’hospitalité et protection, en l’occurrence la France et l’autre qui se cherche perpétuellement et qu’il voit s’éloigner peu à peu, l’Algérie dont il lui reste que des images vivante et sans ride pour leurs faire coller des mots pour ne pas sombrer. Il pense libre, il parle seul à point qu’il se fait passer pour un fou.

Depuis sa lisière où il habite dans la région parisienne, il contemple à perte de vue l’immensité des rues, des scènes, des ponts ou encore lors de ses voyages traversant l’Europe et loin de ses amis, familles, il laisse les souvenirs remonter à la surface. Mokrane Maameri attrape les mots à la plume, en capture les monstres nocturnes et les espérances défigurés.

« Comme je venais d’un autre horizon âpre, dur et rêche

Là où je ne vois que les écumes et débris jetés par le fleuve

J’habite ce temps pour lui servir de témoin à toute mèche

Tout en confectionnant le fil pour faire parler tant d’épreuves ». 1er quatrain, P 52

Toute la poétique de Mokrane Maameri est de mener cette immersion sans hâte. Il vole, se pose et prend son temps, question de peser ses mots. A l’accélération des souvenirs, à la précision des images, il oppose le patient monologue off d’un être dont la seule imagination parvient à le consoler, au milieu d’une minorité puissante au pouvoir, un boomerang pour la vie loin des préoccupations du peuple en souffrance. Le courage de Mokrane Maameri est celui de la dignité quotidienne, qui consiste à dire haut ce que tout le monde pense tout bas, et d’abord pousser les futures générations à se prendre en charge et assumer leurs responsabilités pour ne pas être victime des systèmes.

« J’ai pris courage d’ouvrir la gueule des sans-dents ;

Libre à vous d’apprécier ou pas, ô maitres faiseurs des libertés

Un mot même rattraper dans son envole me parait un don

Me suffit pour rythmer la rime de la vie et de la pensée hébétés » 1er quatrain P. 72

Mais le rêve n’est pas la réalité, voilà maintenant un moment qu’il réfléchit, emporté par les pensées que lui seul pourrait interpréter ses vues. Si bien la résistance de Mokrane Maameri exige aussi de faire revenir le temps passé. Ses amours, son adolescence, sa maman, sa maison adossée à la colline de la Kabylie. A la manière de l’écrivain de la même région que lui, en l’occurrence Mouloud Feraoun (1913-1962), ou son proche et lointain de sa famille Mouloud Mammeri (1917-1989) Mokrane Maameri fait de la poésie un art de remémoration humanitaire, du ressassement libérateur et surtout d’inspiration Kabyle.

« Un jour prés du cœur, prés de la cour et prés de vous

Amis, ennuis et emmerdes

Dites aux êtres doués de sens et aux choses inertes

Que le salut même de loin serait un jour du rendez-vous » 1er quatrain, P 89

La langue aurait ce pouvoir-là : rappeler les morts, disperser les meurtriers. A peine ouvert le livre de Mokrane Maameri, le quatrième de cet auteur prolifique, on est emporté par l’éclat d’une écriture et par la solidité d’une conviction : le mal est puissant, mais l’exhiber en détail, l’oblige à être ce qu’il est, c’est déjà lui résister. Centré sur la vulnérabilité d’un homme, ce texte n’en impose donc pas moins une double démonstration de force.

D’abord, à l’heure où certains voudraient qu’il faille être un universaliste pour écrire la littérature, il réaffirme la liberté d’une littérature populaire qui autorise les jeunes de divers horizons à se mettre à écrire dans leur langue. Ensuite, en s’emparant du sonnet, qui apparait un genre plus rigoureux et précis, de tous les autres genres comme la poésie libre, Mokrane Maameri prouve que la poésie, loin d’évacuer l’actualité dans les nuées, en éclair le réel mieux qu’aucune autre forme. Peut-être parce que le tragique se révèle d’autant mieux qu’il est déplacé par les mythes, transfigurés par les images, peut être, aussi, parce qu’au cœur de ces vers on ressent une poésie élégiaque

Notre monde féroce tolère-t-il encore l’étreinte amoureuse, même rêvée ? Telle est la question posée par ce magnifique Sonnet, qui fait de Mokrane Maameri un poète de notre condition humaine.

Pour peu soit-il

Bien que demeurant une île arrosé de sang et de la sueur

Nos yeux doux de rêveur aspergés du parfum de l’exile

Et nous faisons comme si le passé ne nous appartient plus, ô ma douleur ! «  2eme quatrain, P.84

Résumé

Écrire c’est prendre le monde à témoin, c’est également faire vivre sa langue en invitant l’histoire, les joies, les douleurs. Écrire c’est laisser faire la plume comme un poisson dans l’eau, elle ride les mers et les océans : la faire plonger dans le ressac de souvenirs et d’avenirs, elle inscrit fugacement des traces du passé, du présent et du futur. Écrire c’est avoir le souci d’autrui et de soi, se libérer des préjugés, ne point faire œuvre de la malhonnêteté intellectuelle. Écrire c’est dénoncer les drames et les injustices. Ce qui importe, c’est d’avoir la force de l’empathie et le souci de l’éthique.

L’écume des affects et autres sonnets de résilience, c’est l’accumulation de toutes ces choses écrites sous forme de sonnets, genre popularisé au XIVe Siècle par le poète italien Pétrarque pour qui tout doit être strictement codifié, mêlant à la fois la métaphysique et le sensuel, afin de donner une vision poétique du monde. Au fait cela revient à dire : Ne voir que ce qu’on peut sentir, ne sentir que ce que le cœur voit. Si tout n’est pas devant nous, nous pouvons au moins sentir comment nagent les poissons.

Rédaction Kabyle.com
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3 commentaires

  1. Un recueil poignant sur les années noires qu’avait vécu le peuple algérien narrés poétiquement par le poète Mokrane Maameri et de quelle manière ? Le poète kabyle s’en est inspiré de la sagesse et de l’art communicatif qui proviennent du fin fond de la Kabylie, en somme l’âme kabyle est omniprésent dans ce texte. A lire absolument pour entrevoir l’histoire en poésie à ces différentes période de vie.

  2. j’ai trouvé ce recueil vraiment excellent, car les thématiques sont incroyable et elles sont bien écrites. Même si le livre compte 100 pages, il se lit rapidement tellement on a hâte de connaitre la chute du poème. Je vous le recommande donc si vous aimez la poésie, ou si vous aimez simplement l’art d’inspiration kabyle. De plus, il y a des figures de style qui nous aident à imaginer les personnages et les actions. Voici un exemple: « Le bonheur des paysans construit des montagnes. Il monte de sa valeur jusqu’à s’identifier à sa belle étoile. Moisson de mémoires sur chaque maison des prairies. Du haut di ciel, l’aigle assistait la fumée des cheminés. » V 1,2,3,4 p.78. Il plaira autant aux garçons qu’aux filles. Allez vite le chercher à la bibliothèque ou à la librairie.
    Lyes

  3. J’ai lu ce quatrième livre de Mokrane Maameri. C’est un vrai bonheur en terme de répliques et autres réflexions sur la culture berbère. Il rend hommage aux kabyles et à la sagesse des kabyles en y prenant toute sa matière première.
    L’auteur est en effet allé chercher dans le fond fin des tiroirs des petites phrases bien senties qui peuvent amener à réfléchir, s’étonner, rire ou même à aller se renseigner plus en amont.
    Le seul reproche que j’attribuerais à ce concept (par ailleurs extrêmement alléchant) est de ne pas être écrit en Kabyle, mais bon, peut-être il y pensera à la traduction. L’auteur insère ses vers des anecdotes et des petites bribes des vieilles traditions et des fables de nos grands parents autour du feu en hiver.
    C’est un vrai plaisir que j’ai a à découvrir une foule d’anecdotes allant tout azimut. Ce livre se présente tel un abécédaire avec de grands mots-clé et c’est donc avec un plaisir non dissimulé qu’on pioche selon le terme choisi. Le titre de cet article « l’Art d’inspiration kabyle » résume bien la pensée de Mokrane Maameri. Chapeau le Poète et bonne continuation.
    Massinissa. H

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