Manis Amrioui – Première autobiographie écrite en langue kabyle

À l’âge de 73 ans, Manis Amrioui a écrit son autobiographie en kabyle, la première du genre. Cet ouvrage est un témoignage important sur la vie et l’engagement d’un défenseur de la culture kabyle.

Nous, Kabyles, issus de culture collectiviste, dont le « village » et la communauté ont une priorité presque absolue, éprouvons beaucoup de réticence à l’heure de parler de nous-mêmes. Nous redoutons le « JE », par pudeur, par décence. Néanmoins, dans notre société actuelle, l’individu a évolué et tend de plus en plus à affirmer son « JE », sans pour autant porter atteinte au « NOUS ».  

L’écriture en kabyle est devenue, plus au moins florissante, mais un genre essentiel nous manque: l’autobiographie. Oui, celle-là même qui est pleine de « JE » qui souvent s’entremêle au « NOUS ». 

De nombreux auteurs Kabyles ont rédigé leurs mémoires et biographies, mais ils l’ont fait en langue française. Après avoir effectué des recherches pour écrire cet article, à part l’œuvre de Belaid At Ali dans laquelle nous trouvons quelques éléments autobiographiques, je n’ai pas pu trouver d’autobiographie rédigée exclusivement en kabyle. 

Manis Amrioui, à l’âge de 73 ans, vient de réaliser un exploit en publiant son autobiographie en kabyle, la première du genre dans cette langue. Manis est un fervent défenseur de l’identité, la culture et de la langue kabyles. Son autobiographie est un témoignage précieux sur son parcours de vie, ses engagements et ses aspirations.

Talalit-iw tis snat

Il est connu pour ses projets de terrain, notamment Axxam n Tmusni, un garage qu’il a transformé, avec l’aide de sa famille, des enfants et jeunes de son village, en une école fonctionnelle où jeunes et adultes apprenaient les langues, l’informatique, la biologie, la technologie, la musique. Il a aussi transformé un camion, Avouzhayer, en un véhicule de lutte contre les incendies de forêt, tout en le convertissant en une source d’approvisionnement en eau potable pour sa communauté et les villages environnants lors des canicules estivales.

Le régime algérien, tueur de toute initiative citoyenne, a tout fait pour fermer Axxam n Tmusni et a même « mis en arrêt » Avouzhayer laissant des centaines de citoyens sans eau. 

Mais Manis ne “se rend” pas ! C’est pour ça qu’Axxam n Tmusni semble prendre un nouvel élan en s’adaptant aux nouvelles technologies, n’en déplaise aux persécuteurs. Sous une vision innovante, cette transformation remarquable voit désormais Axxam n Tmusni évoluer pour devenir bien plus qu’un simple garage reconverti. Il se positionne comme une plateforme socio-éducative polyvalente et se lance dans l’édition de livres et de produits digitaux diversifiés, tels que des documentaires, des interviews, des masters classes et bien d’autres encore. 

Sa première édition livresque est celle de Manis lui-même qu’il a intitulé Talalit-iw tis snat (Ma Renaissance, nous pouvons être nous-même). Manis nous fait part de son bonheur d’avoir écrit un livre dans sa langue maternelle et paternelle et de son choix et joie d’avoir pu changé son prénom colonial (Ahmed) en Manis (Lui-même).

Profitant de son exil forcé, il a pris le temps de nous raconter son enfance jalonnée par la guerre, la faim, le froid, ainsi que sa jeunesse pleine de frustrations et aussi d’espoirs.

L’exil Manis l’avait déjà connu pendant son enfance durant la guerre, contre le colonialisme français, dans laquelle toute sa famille était engagée. Surtout son père, sa mère et son grand frère, qui d’ailleurs, tous, furent torturés. La mère de Manis a même été violée ! Le viol ! Un tabou que Manis tente de briser dans son récit, car nous parlons très peu de ça alors que psychologiquement ça façonne toute une société et en parler est la moindre des choses. 

Un fait majeur a décidé de la vie de sa famille. L’armée française a bombardé leur maison et l’a détruite. Manis a vu le bras de sa mère amputé, ses deux frères ont été touchés, l’un à la tête et l’autre au pied. Et à partir de là, toute la famille s’était dispersée pour éviter les représailles de l’armée française. 

Une fois la guerre finie et la désillusion bien installée, le père et le frère s’étaient engagés contre les troupes de Ben Bella. Il fallait encore fuir, se cacher. Manis n’entrevoit un peu de lumière qu’en intégrant le célèbre lycée de Dellys, une étape importante dans sa vie. Pour compléter les frais de sa scolarité, sa mère était obligée de vendre des œufs ! Tandis que les enfants des privilégiés de la nation profitaient des aides de l’État. 

Dans sa Renaissance, Manis nous raconte la Kabylie, son départ vers l’Allemagne après avoir été menacé dans les années 80 tandis qu’il travaillait comme ingénieur et dirigeait une usine à Sidi Bel Abbès. En refusant d’ouvrir une salle de prière au sein même de l’usine, quelques travailleurs lui en voulaient et l’ont menacé lui et sa famille. 

Il nous parle des défis et de la stabilité de son travail en Europe, des premiers prototypes de l’intelligence artificielle dans le domaine des machines agricoles. Il nous raconte son retour à sa terre natale et l’enthousiasme suscité par son projet d’une école laïque, libre, prospère et dirigée vers l’enseignement du/en kabyle. Cette école même qu’il a construit de ses propres ressources, temps, savoir et celui de sa femme Monika. Pourtant, depuis 2016, Monika s’est vue frappée d’interdiction d’entrée en Algérie en guise de représailles aux activités de son mari, créant ainsi un défi de plus sur leur chemin.

Les autorités ont mobilisé toutes les mesures possibles : intimidations, interrogatoires kafkaïens, menaces, manipulation de certains covillageois, envois de convois de militaires ou de gendarmes, pour mettre un terme aux activités d’Axxam n Tmusni. Et, malheureusement, elles ont réussi ! Axxam n Tmusni est mis “sous scellé”. Une lumière s’est éteinte. Pourquoi ? Pour empêcher les Kabyles, dans chaque village, d’en prendre exemple. La révolution ne se fait-elle pas à travers l’école, le théâtre, le cinéma, les livres ? Pourquoi ont-ils peur d’une petite école ? 

“Ce régime qui fait tout ça devant un petit garage comme celui-ci, n’est pas du tout puissant. Il est lâche”, répondit ce député allemand impressionné en découvrant Axxam n Tmusni, en 2016, année de sa fermeture.

Manis a choisi de prendre une retraite anticipée, résolument déterminé à consacrer son existence aux enfants de son village. Son objectif ? Sortir son « village » de l’obscurantisme et l’acculturation infligés par l’école algérienne, figée dans un dogme arabo-musulman, intolérant et suprématiste, au nom de la Oumma. Mais les fossoyeurs des espérances ont eu raison de toutes les volontés sincères.

Depuis son exil forcé, Manis a restitué, dans son livre, des pans de sa vie. Une vie d’un homme qui a essayé, qui a fait, qui a montré le chemin. Et, une fois de plus, en publiant son autobiographie, il nous fait montre d’audace et de persévérance. Son souhait, comme il le dit bien : que les Kabyles écrivent, produisent dans leur langue pour que celle-ci ne meure pas.

La Renaissance de Manis est pleine de symbolique ! Il renaît pour être en paix dans/avec ce qu’il est, en rejetant ce qu’ils veulent faire de lui : acculturé, soumis, sans voix, sans choix ! 

C’est, certes, l’histoire d’un homme, mais aussi celle d’une famille, d’un peuple qui, s’il ne renaît pas, disparaîtra !

La version du livre de Manis est déjà disponible sur Amazon. Dans quelques mois, les versions française et allemande seront aussi disponibles. 

Petite interview de Manis : 

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Noufel

Noufel Bouzeboudja
Noufel Bouzeboudja
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