L’hyène qui voulait se faire lion

Cette nuit là était plutôt morose et les étoiles avaient déserté le ciel. Une atmosphère lourde pesait sur les êtres vivants comme si une chape de plomb descendait inexorablement du ciel pour enserrer la planète terre jusqu’à l’étouffement. Cette lourdeur envahissait les cœurs dont les battements semblaient ralentir jusqu’à menacer de s’éteindre. Les hommes, les animaux, les plantes, tous ces êtres vivants paraissaient torturés d’une une peine indicible !

Ce soir là, la tristesse envahissait aussi l’hyène, nommée Tifist. La tête affaissée, le regard sans éclat, cette hyène était contrariée par ce calme soporifique et cette nature qui lui semblait alourdie, se dérobant sous ses pieds.

Comme chaque soir, l’hyène sortit de son marécage mais cette fois là, elle avait pris la décision de ne plus y remettre les pieds.

  • Oui c’est fini, se dit-elle. Je m’enkyste dans ce monde des hyènes sensé être le mien. Il n’est plus le mien, il a tourné le dos à l’espoir et je m’y sens étrangère. Pfff ! quelle laideur, quel dégoût ! Des hyènes sans envergure paraissent adulées par la meute. Alors quoi y faire quand les valeurs de groupe sont travesties pour profiter aux individus les plus médiocres, les plus insignifiants. Moi il me faut le grand large, oui les grands espaces où je brillerai comme une étoile.

Plus question de revenir vers la tanière qui l’avait vue naitre et grandir. C’est que Tifist en avait assez de vivre avec ses semblables que les femelles dominent et où les omnigames, comme elle, doivent se cacher pour vivre leur vie.

Elle vivait mal le fait que son image, comme celle de son espèce, soit repoussante. Dans un mouvement sec, presque violent, elle se secoua à plusieurs reprises comme pour faire sa toilette et prendre soin de son hygiène en se débarrassant des corps étrangers sur ses poils. Tifist partit d’un pas décidé et dit adieu à la petitesse de son quotidien pour aller à la recherche de la grandeur, de la gloire, de l’inconnu…

Elle marchait dans la forêt, elle marchait jour et nuit pour atteindre de nouveaux continents. Fière mais vigilante car étrangère à ce nouveau territoire marqué par les odeurs d’animaux plus gros et sans doute prédateurs. Au moindre bruit, elle se tapit derrière les arbres ou se dissimula dans les buissons épais et humides. Mais de temps à autre, elle éleva la voix pour signifier à qui veut l’entendre qu’elle n’a peur de personne. Au fond d’elle-même elle tremblait sans discontinuer. Alors pour se rassurer, elle se mit à parler à haute voix.

  • Dans ces contrées froides j’évoluerai à ma guise. Je donnerai libre cours à mes sens, j’accoucherai de tous mes savoirs et de mes talents et j’épaterai la galerie à cent lieux à la ronde.

Tout à coup, un chien sauvage, visiblement chef de meute, sortit du bois et lui adressa furtivement la parole dans une langue qui lui écorchait les oreilles. Puis il disparut subrepticement d’un bond impressionnant comme pour ne pas entendre de réplique. Des fois qu’elle lui demande quelque chose !

  • Thenni (t’inquiète point), ici les grands espaces t’ouvriront tous les chemins, les prédateurs ont besoin des petits, thenni ! lâcha-t-il.

Surprise par cette apparition impromptue, Tifist se demandait si elle n’avait pas rêvé. Un de ces rêves éveillés que l’on fait quand la fièvre de l’inconnu nous tient !

  • Mon dieu, cette langue repoussante ici ? ! se dit-elle avec dégoût.

Mais Tifist reprit sa marche forcée vers les horizons lointains, vers la gloire, vers les sommets de ces plats pays négligeant les chiens sauvages.

Des jours durant elle chemina jusqu’à apercevoir de loin un lion allongé. Elle eut peur. Elle s’arrêta net ! Elle renifla autant qu’elle pouvait pour percevoir les intentions du fauve. Mais celui-ci resta inerte. Pas un mouvement, pas un rugissement, pas le moindre signe ! Au bout d’un moment, elle s’étonna de son immobilité. Elle décida alors de s’en approcher.

  • Ma foi, ce lion m’a l’air inoffensif. Peut-être que dans ces pays lointains sont-ils coopératifs et bienveillants, se dit-elle avec candeur.

Elle avança à petits pas comme l’on marcherait sur des œufs.

Le lion ne bougea point. Faisait-il le mort pour bondir de plus prêt sur sa proie ? Aucune odeur ne s’en dégagea comme si le lion ne vivait plus. L’hyène avança le cœur battant. Le lion sembla ne plus respirer. L’hyène avança encore.

  • C’était finalement un cadavre, se dit-elle rassurée. Un corps froid mais encore intact. Humm…quoi en faire ?

L’hyène regarda bien le lion et ne put se retenir.

  • Quel bonheur de te voir allongé, sans force, sans pouvoir, sans ton rugissement qui fait vibrer la terre et les cieux…combien j’aimerai être comme toi. Même dominé par ta femme, tu restes le roi de la forêt. Pour une fois, je me sens forte devant toi… «thenni ! » m’avait prédit le chien sauvage !

Elle délira ainsi un bon moment laissant libre cours à son narcissisme démesuré.

L’hyène resta un bon moment pensive. Puis, eut l’idée de dépecer le grand fauve. Elle regarda à droite puis à gauche pour être sûre de ne point être épiée. Elle enleva méticuleusement la peau du lion, la nettoya fébrilement et en couvrit tout son corps. Elle donna alors l’apparence du roi de la forêt.

Elle réfléchit un instant, surprise elle-même du nouveau rôle qui lui échut.

  • Waou ! avec cette apparence, je pourrai me faire passer pour un lion et personne ne pourra reconnaitre ma vraie identité, celle de l’hyène. J’aurai le respect de tous les animaux de la forêt et ainsi, j’aurai une autre vie plus digne et plus honorable. Je serai une star sur mes nouveaux territoires. On me suivra sans rechigner. Je parlerai leur langue et chanterai leurs refrains.

Le grand jour se leva et le soleil réapparut pour l’hyène qui changea sa démarche pour imiter celle du roi des animaux. Les oiseaux s’envolèrent en entendant son reniflement. Tous les animaux lui cédaient le passage avec déférence. Elle était le roi, le vrai, le sultan.

  • Attention ! Le roi arrive, regagnez vos refuges ! murmuraient toutes les femelles en charge de la sécurité de leur progéniture. Dès fois qu’un coup de pattes venait à lui échapper.

Les voyant fuir, l’hyène avait envie de dire « thenni, thenni !» comme lui avait dit le chien sauvage. Mais elle s’abstint pour le moment de tout commentaire pouvant trahir ses origines.

Alors, les animaux grands et petits s’écartaient ou détalaient et regardaient de loin ce lion à l’allure inhabituelle. Une curiosité et une crainte teintées d’ironie se manifestaient sur chaque protagoniste mais aucun animal n’osait moufter mot !

  • Je dois rester majestueuse et magnanime. Je dois défendre les faibles et montrer ma féroce générosité. Il faut qu’on m’applaudisse partout se disait la bête ! Qu’on sache que même venue de loin, ceci est mon territoire.

Les premiers temps, l’hyène ne mangeait que ce qu’elle chassait ou qu’on lui apportait. Elle s’abstint de consommer des charognes pour ne prendre que la chaire fraiche… mais cela la déstabilisait, l’affaiblissait. Tous dans la forêt se demandaient pourquoi ce nouveau lion ne s’attaquait qu’aux proies faciles, aux petits calibres. Pourquoi faisait-il mine d’ignorer les gros buffles qui passaient tranquillement sur son passage ?

Et voilà qu’un jour, elle sentit de loin l’odeur d’un cadavre. Elle l’ignora. Mais l’odeur était si forte, si persistante et si alléchante.

Elle suivit prudemment le chemin de l’effluve et se retrouva devant une charogne. L’envie était si grande qu’elle oublia son costume de lion. Sans relever la tête, elle se mit à dévorer la carcasse à pleine dent. Elle hurla de jouissance. Sans retenue, elle poussa des cris d’affolement.

Au loin, une jolie colombe blanche comme l’écume était sur une branche d’un très grand arbre. Elle vit toute la scène et s’en trouva horrifiée.

  • Quoi, notre roi réduit à une charogne, à pousser des cris hystériques ? !
  • Hrrouuu, Hrrouuuu, cria la colombe qui en perdit son roucoulement ! alertons les habitants de la forêt, se dit-elle.

Elle s’envola. Elle appela les lions, les chiens sauvages, tous les habitants des bois.

Ainsi, l’hyène fut entourée de fauves et d’autres animaux de la forêt. L’hyène fut noyée dans sa grande honte. On lui retira la peau du lion. On découvrit qu’il ne s’agissait que d’une hyène. Après jugement, on lui laissa la vie sauve et on l’emmena vers les marécages vivre sa vie de hyène auprès des autres animaux. Pour se racheter, elle s’inventa un tas de talents. Mais à chaque fois que sa danse attire tout un monde, elle finit par faire « pschitt ». Tous ses jeux furent éphémères.

Le mensonge ne dure pas…la vérité finit toujours par surgir mais Tifist s’entêta à vivre dans le mensonge et à vouloir amuser la galerie! Elle découvrit peu à peu que beaucoup de hyènes, de chacals, de chiens sauvages, avaient gagné, comme elle, le continent des espaces froids, elle s’accoquina avec certains à la recherche d’un bonheur, de son bonheur, d’une gloire de paillettes ! Et plein d’autres plans lui vinrent en tête…

Sabrina Azzi

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