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Lexique d’informatique en français, anglais et kabyle de Samya Saad Buzefran
Le monde des mots est souvent parsemé d’histoires fascinantes, empreintes de passion et de persévérance. C’est exactement ce que nous révèle la seconde parution du *Lexique de Samya Saad Buzefran* chez les Éditions Axxam n Tmusni. Cet ouvrage n’est pas seulement un dictionnaire ; c’est le fruit d’un parcours semé d’embûches et de rencontres décisives, révélant un engagement profond envers la préservation et la promotion de la langue kabyle, fille de Tamazight qui s’enrichit grâce à ses enfants les plus brillants.
Une histoire de passion et de détermination
Brillante est Samya tout comme son parcours. Elle obtient son doctorat en informatique à l’Université de Poitiers (France) en 1998. Elle passe quatre années à l’Université du Havre en tant que Maîtresse de Conférences en Informatique, elle rejoint dès lors le Conservatoire National des Arts et Métiers (Cnam) de Paris en septembre 2002. Depuis 2019, elle est Professeure des Universités au CNAM.
Elle occupe actuellement plusieurs postes dont : experte référente en informatique pour le crédit impôt recherche au sein du ministère français de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (décembre 2023). Directrice du Laboratoire CEDRIC, qui regroupe plus de 170 enseignants-chercheurs et doctorants.
Ses domaines de recherche actuels se concentrent principalement sur la sécurité dans l‘Internet des objets « The Internet of Things » (IoT), en s’appuyant notamment sur les techniques de l’intelligence artificielle.
La genèse d’un projet ambitieux
Revenons, cependant, à l’histoire de ce lexique ! Elle commence en 1990, lors de la fête du village d’Achallam, dédiée au royaume de Koukou. La jeune Samya, accompagnée de ses sœurs, y assiste avec une curiosité insatiable. C’est là qu’une rencontre déterminante avec Belaid At Mejqan, journaliste et animateur à la radio kabyle, lui ouvre les portes de la réflexion sur la manière de contribuer à la sauvegarde de leur culture. Sur ses conseils, Samya se rend à Alger pour rencontrer Abdesselam Abdennour.
Au cours de cette rencontre, Abdesselam Abdennour, après lui avoir dédicacé son livre, un dictionnaire Français-Kabyle Lebni d imuhal izuyaz (Bâtiment et Travaux Publics), lui évoque la nécessité d’un dictionnaire d’informatique en kabyle. Une idée qui, bien que semble-t-il ambitieuse, devient le point de départ d’une aventure intellectuelle et personnelle pour Samya.
« Ma décision d’entreprendre la création d’un lexique dans la langue kabyle est motivée bien plus par le désir de contribuer à combler une lacune, engendrée par l’exclusion que subit cette langue depuis des décennies, que par la satisfaction égoïste que je pourrais en tirer, » confie-t-elle.
De retour chez elle, Samya se lance dans l’élaboration d’un lexique, armée de patience et de détermination, mais vite confrontée à la complexité du projet. Elle explique : « Pour qui connaît la richesse des langues amazighes, révélée par le travail inestimable d’hommes tels que Mouloud Mammeri, le carcan folklorique dans lequel on veut la confiner est plus qu’insupportable et il ne peut admettre cette hypocrisie qui la tolère comme objet de recherche dans l’Université en même temps qu’elle lui ferme les moyens de communication qui lui permettraient plus rapidement de reconquérir sa place. »
Avec l’aide précieuse de Ramdane Achab, expert en linguistique amazighe, et grâce à l’accès, qu’il lui facilitera, à une vaste bibliothèque de dictionnaires de différentes langues amazighes, Samya parvient à enrichir son lexique informatique.
Une méthodologie rigoureuse
« Pour mener à bien cette mission que je me suis assignée, j’ai fait appel, après avoir répertorié les termes français et anglais du vocabulaire informatique d’aujourd’hui, à des ouvrages amazighs, dictionnaires dans les différents parlers (kabyle, touareg, chleuh, mozabite, chaoui), lexiques Amawal, de mathématiques, d’électricité ainsi que quelques autres ouvrages, et cela afin d’augmenter la probabilité de trouver un mot berbère à utiliser pour la traduction et n’envisager la néologie qu’en dernier recours, » précise-t-elle.
La première version de ce travail monumental voit le jour et est envoyée à divers linguistes pour critiques et corrections. Bien que les retours soient minimes, Samya persévère et le lexique est primé lors du colloque Amazigh de Ghardaia en 1991 avant d’être publié par l’Harmattan en 1996.
« La plupart de ces termes, créés pour les besoins de la technologie durant ces dernières décennies, ne font pas partie du langage courant et il en est même qui ne sont entrés dans le dictionnaire que très récemment alors qu’ils sont utilisés par les informaticiens depuis les années 60, » observe-t-elle.
La digitalisation, qui s’accélère dans les années 2000, pose de nouveaux défis mais aussi des opportunités pour le lexique de Samya. La version révisée, publiée en ligne en 2005, se voit intégrée dans des projets de traduction et d’adaptation numérique comme ceux réalisés par le groupe Imsidag. Ce soutien pratique et la validation des termes proposés témoignent de la vitalité du lexique et de son utilité croissante dans le monde numérique.
Samya conclut : « Au premier abord, il peut paraître complexe d’associer à un corpus très technique et récent des traductions puisées dans les dictionnaires berbères confectionnés pour la majorité par des ethnologues avec l’aide de populations rurales relatant leurs activités quotidiennes traditionnelles. Mais c’est méconnaître la puissance de ces langues à rendre avec une extrême concision des situations, des états, des actions et ses facultés à intégrer de nouveaux concepts. »
Un héritage linguistique pour l’avenir
Aujourd’hui, en 2024, la nouvelle parution de ce lexique Amawal N Tsenselkimt chez les Éditions Axxam n Tmusni marque non seulement la pérennité de cet ouvrage mais aussi son adaptation aux réalités contemporaines. Samya Buzefran exprime une profonde gratitude envers toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de ce projet, des linguistes aux développeurs d’outils numériques. Ce lexique n’est pas seulement une ressource précieuse pour les utilisateurs de la langue kabyle, mais aussi un symbole de la résilience et de l’évolution d’une langue face aux défis de la modernité.
Pour rappel, Samya sera en tournée au Canada pour parler de son travail et de sa contribution à la revitalisation de sa langue. Elle sera le 6 septembre à Ottawa-Gatinau avec l’association ACAOH sur le thème Lexique d’informatique entre hier et aujourd’hui ?