Les Kanak et les Kabyles unis pour l’indépendance 

Depuis plusieurs années, la Kanaky connait une résurgence de la révolte et une aggravation de la misère. Le blocage du processus de décolonisation de la Nouvelle Calédonie initié par les accords de paix de Nouméa signés en 1998 et le passage en force d’un troisième référendum le 12 décembre 2021 ont exacerbé les tensions et les frustrations au sein de la population kanak.

Le changement des règles par le pouvoir français et le vote du dégel ont mis le feu aux poudres. Le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie », a été approuvé par le Sénat le 2 avril dernier et voté par les députés dans la nuit du 14 au 15 mai. L’instauration de l’état d’urgence le 15 mai dans l’archipel n’a fait qu’aggraver les crispations.

Sept Calédoniens ont été tués, dont deux gendarmes. Des centaines d’autres ont été blessés. Plusieurs leaders indépendantistes du Collectif des syndicats kanak (CCAT), dont Christian Tein, sont toujours assignés à résidence. Les pourparlers se déroulent actuellement sans eux.

Cette situation complexe met en lumière une tension fondamentale entre les principes du droit national et de la légitimité démocratique du dominant européen d’un côté, et de l’autre les concepts du droit international et du droit inné à l’autodétermination des peuples autochtones. 

Elle rappelle les événements survenus en Kabylie en 2001, où une révolte populaire a éclaté en réponse à la marginalisation et aux frustrations socio-économiques de la population. La comparaison met en lumière les similitudes entre les deux contextes : un sentiment d’injustice face à un processus politique perçu comme injuste et des frustrations socio-économiques profondes qui alimentent la contestation.

Dans le contexte des luttes pour l’indépendance à travers le monde, deux régions éloignées, la Kabylie et la Kanaky (Nouvelle-Calédonie), partagent une histoire et des aspirations communes. Les récents événements mettent en lumière la persistance des mouvements indépendantistes dans ces pays, leur héritage colonial commun et les défis auxquels ils sont confrontés.

Un héritage, un destin commun

Les liens historiques entre la Kabylie et la Nouvelle-Calédonie remontent à la période coloniale française. En 1871, après la défaite des Kabyles sous la direction de Cheikh Aheddad, de nombreux résistants kabyles furent déportés en Nouvelle-Calédonie. Cette déportation forcée a créé un lien physique et symbolique entre les deux peuples, tous deux victimes de la répression coloniale française.

Il est important de rappeler que la Nouvelle-Calédonie a été annexée par la France en 1853 et transformée en colonie pénitentiaire. Cette période a été marquée par des violences, des injustices et des spoliations des terres kanaks. De nombreux Kabyles furent aussi envoyés dans les bagnes de Cayenne.

Il en va de même pour les terres individuelles kabyles des exilés ou celles appartenant collectivement aux tribus, confisquées par le régime socialiste algérien et attribuées à des propriétaires et administrations arabes.

La lutte des Kanaks pour l’Indépendance

Depuis 1986, les territoires kanaks sont inscrits sur la liste des territoires à décoloniser de l’ONU. Malgré cette reconnaissance internationale, la lutte pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie continue. Les Kanaks, peuple autochtone de l’archipel, sont déterminés à mettre fin à plus de 150 ans de colonisation française.

Cependant, le gouvernement français persiste à justifier sa présence en Nouvelle-Calédonie par des raisons géopolitiques, arguant que le retrait de l’armée française pourrait déstabiliser la région et même affecter l’Europe. Cette justification est perçue par de nombreux observateurs comme un moyen de maintenir une mainmise coloniale sur l’archipel.

Colonisé par la France en 1853 et devenu territoire d’Outre-mer en 1946, l’archipel du Pacifique connaît depuis des décennies des tensions politiques et sociales entre les indépendantistes kanaks et les loyalistes, majoritairement des « Caldoches » – descendants des premiers colons français et des bagnards, parmi lesquels se trouvaient de nombreux Kabyles et Algériens, souvent qualifiés à tort d’Arabes.

De la même manière que la Kabylie peut s’affirmer au sein du vaste territoire amazigh et de sa civilisation, la Kanaky peut devenir le phare de la Mélanésie, incarnant la civilisation mélanésienne dans le Pacifique. Le combat du peuple Kanak est le même que celui du peuple de Polynésie.

Défis politiques et réformes électorales

Un des principaux points de contention récents est la réforme constitutionnelle proposée par le gouvernement français, visant à élargir le corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Cette mesure est critiquée comme une tentative de diluer le vote indépendantiste kanak et de manipuler les résultats des référendums sur l’indépendance. Les opposants à cette réforme y voient une stratégie pour prolonger la domination française sur l’archipel.

L’organisation du troisième référendum d’autodétermination a été marquée par de vives critiques, remettant en cause sa légitimité et son équité. La modification des règles de participation, restreignant l’accès au vote aux électeurs inscrits depuis 2018, a été perçue par certains comme une manœuvre visant à réduire le poids de l’électorat indépendantiste. Cette mesure a contribué à une faible participation, particulièrement parmi les Kanaks, majoritairement favorables à l’indépendance.

De nombreux Kanaks dénoncent un processus biaisé et remettent en cause la validité du vote. Ce sentiment d’injustice et d’amertume alimente la résurgence des mouvements indépendantistes et nourrit un climat de colère et de frustration.

Parallèles avec la Kabylie

La Kabylie lutte également pour son autodétermination. La revendication kabyle repose sur une longue histoire de résistance contre la domination étrangère, d’abord contre la colonisation française, puis contre ce que certains Kabyles perçoivent comme une colonisation « arabo-islamique » post-indépendance algérienne.

La quête d’indépendance de la Kabylie s’inspire du droit international des peuples à disposer d’eux-mêmes, un principe également invoqué par les Kanaks. Les deux mouvements pourraient se soutenir mutuellement dans leur quête pour la reconnaissance de leurs droits et de leur souveraineté. L’URK L’union pour la République Kabyle est le premier mouvement kabyle qui dans un communiqué daté du 23 mai s’est montré solidaire de la Kanaky déclarant que « La Kabylie, comme la Nouvelle-Calédonie, aspire aussi à son indépendance. Elle cherche à se défaire des tentacules du dernier colonisateur “arabo-islamique”, qui a remplacé la France coloniale« .

Une décolonisation de l’Histoire et des esprits

Les Kanaks et les Kabyles plaident pour une « décolonisation de l’histoire » qui reconnaîtrait pleinement leurs droits à l’autodétermination. Pour les Kanaks, il s’agit de rejeter l’image de la Nouvelle-Calédonie comme une colonie pénitentiaire pour la redéfinir comme une terre de liberté et de culture. Pour les Kabyles, il s’agit de réaffirmer leur identité distincte et leur droit à être reconnus comme un peuple indépendant.

Kanaky - Photographie Stéphane Arrami
Kanaky – Photographie Stéphane Arrami -Périgueux Août 2022

Perspectives pour l’avenir, un front commun contre la colonisation

Les luttes pour l’indépendance de la Kabylie et de la Kanaky Nouvelle-Calédonie soulèvent des questions cruciales sur le droit des peuples à l’autodétermination et sur les résidus de la colonisation. Alors que ces mouvements gagnent en visibilité, ils appellent à un soutien international pour faire valoir leurs droits légitimes et pour favoriser une résolution pacifique et juste de leurs revendications.

En conclusion, bien que séparées par des milliers de kilomètres, la Kabylie et la Kanaky Nouvelle-Calédonie partagent un parcours similaire de résistance et de quête d’indépendance. Leur lutte commune met en lumière les défis persistants de la décolonisation dans le monde contemporain et la nécessité de respecter les aspirations des peuples autochtones à disposer d’eux-mêmes.

Tant pour les Kabyles que pour les Kanaks, la lutte pour l’autodétermination représente un combat historique pour la reconnaissance de leur identité, de leur culture et de leurs aspirations. Ils aspirent à exercer un contrôle souverain sur leur territoire et à déterminer leur propre destin et mettre fin aux colonies de peuplement mise en place par la France d’un côté et celui de l’Algérie arabisante de l’autre.

L’aspiration du peuple kanak à la liberté est exploitée, récupérée, salie par les groupes socialistes et d’extrême-gauche dans le monde qui la présentent comme une lutte des classes, établissant un cocktail indigeste avec la cause palestinienne entachée par les crimes du Hamas. Contrairement à la situation kabyle, elle n’a rien à voir et vient desservir ce combat légitime.

Au-delà de la rupture avec un État central, les Kabyles et les Kanaks visent une émancipation plus profonde. Ils aspirent à affirmer leur identité, à préserver leur culture et à prendre en main leur destin, tout en envisageant des formes de coopération, de partenariat et d’interdépendance avec les entités voisines.

Le média Kabyle.com donnera la parole sur sa tribune aux Kanaks et Caldoches Kabyles qui le souhaitent pour prolonger cette réflexion, ce dialogue et cette union entre nos peuples.

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Stéphane Mérabet Arrami
Stéphane Mérabet Arrami
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