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Le théâtre de Mohya, une oeuvre de kabylisation
Dans son ouvrage, Le Théâtre de Mohya, Nasserdine AIT OUALI présente MOHYA en tant que figure marquante du théâtre de langue kabyle, mort au moment où cette langue a le plus besoin de son apport. Pour rappel, Abdallah Mohia, plus connu sous le nom de Mohya, né le 1ᵉʳ novembre 1950 à Aïn El Hammam et mort le 7 décembre 2004 à Paris 15ᵉ.
C’est est un auteur, parolier, adaptateur et poète kabyle prolifique. L’œuvre théâtrale de ce grand dramaturge, pourtant reconnu de son vivant, n’a pas fait l’objet d’études sérieuses à la mesure de sa renommée et de sa valeur dans les milieux amazighophones. Hormis quelques mémoires de fin d’études universitaires, inaccessibles pour le grand public, rien sur les étalages des librairies qui nous rappelle ce géant de la littérature kabyle. Cette foisci, Nasserdine Ait Ouali l’invite à ressurgir pour nous réconcilier avec lui à travers un bon livre de critique littéraire.
Intitulé Le théâtre de Mohya, adaptation et créativité, l’ouvrage traite de l’adaptation d’œuvres universelles en langue kabyle et du génie de Mohia Abdellah. D’entrée, l’auteur le situe dans la lignée des culturalistes résistants, disant de lui qu’il « a construit ses adaptations en leur insufflant un esprit transgressif, voire subversif, dans une langue kabyle accessible avec un référent culturel kabyle. » (p.11)
En effet, dans cette étude, on saura que le théâtre de Mohya est de nature à stimuler la réflexion en ce sens que de son style voulu simple et accessible se profilent des interrogations fondamentales sur le sens. A titre d’exemple, dans la pièce intitulée Llem-ik, ddu d udar-ik, Mohya « expose le rapport social exploiteur/exploité […] représenté comme injuste ». (p.60-61)
Tout au long du livre, l’auteur cherche à comprendre et à montrer les diverses dimensions de l’écriture de Mohya. Dans le chapitre réservé au ‘paratexte’, il a choisi d’ « évaluer les différents transferts » réalisés par le dramaturge dans ses adaptations et « leur articulation avec la créativité ». (p.17). Dans celui des ‘thématiques’, il a opté pour « l’examen des ‘transferts’ des thématiques fait par Mohya dans ses adaptations théâtrales, ainsi que l’insertion de nouveaux thèmes » (p.39) pour savoir comment s’opère la ‘kabylisation’ des pièces adaptées. Dans le chapitre intitulé ‘culture et idéologie’, il propose « une analyse qui permettra de mettre en évidence le travail d’adaptation de Mohya» et la contextualisation des pièces adaptées.
Le chapitre réservé à ‘l’onomastique’ traite du sens des noms attribués par Mohya aux personnages de ses récits en tant qu’ « indicateurs pertinents ». (p80) C’est dans l’ordre des choses que le chapitre suivant traite des ‘personnages’. Là, l’auteur de l’étude montre comment Mohya construit les « personnages de ses adaptations pour qu’ils évoluent dans un nouveau monde théâtral ». (p.155) De même pour le chapitre consacré à ‘l’espace/temps’ où l’analyste note l’esprit de créativité du dramaturge qui ne se gêne pas à gérer librement les époques et les délocalisations. L’avant dernier chapitre s’intéresse à la ‘rhétorique’ de Mohya et à son processus d’adaptation. L’auteur signale l’usage important de la stéréotypie qu’il met sur le compte de l’oralité qui y recourt pour « faciliter la mémorisation et la transmission », entre autres. Dans le dernier chapitre, il s’intéresse à la ‘langue de Mohya’. Pour lui, le dramaturge utilise une langue kabyle très simple et « déploie tout son art pour […] adapter sa langue kabyle aux réalités sociolinguistiques du moment ».(p.195)
L’on sait que l’analyse d’une œuvre dramatique ne saurait se réduire à sa composante textuelle. Dans le cas de Mohya, il y a lieu de zoomer sur le contexte culturel dans lequel s’inscrivent ses pièces. Justement, le lecteur trouvera dans la réflexion de Nasserdine Ait Ouali, autour de cette œuvre théâtrale, un aperçu global en huit chapitres fort judicieux et des détails sur les différentes dimensions de son objet d’étude. L’autre intérêt de l’ouvrage réside dans la distanciation proposée et l’objectivité de l’analyse malgré l’effet affectif qui caractérise le rapport qui s’établit entre un analyste et une production intellectuelle rédigée dans sa langue maternelle qu’il sait en phase de renaissance dans un contexte fort défavorable.
Le théâtre de Mohya, adaptation et créativité est un ouvrage universitaire, écrit par un auteur averti du monde des arts du spectacle et de l’humour pour avoir longuement travaillé sur Coluche et son œuvre. Il intéressera aussi bien le non spécialiste que l’homme de théâtre et le chercheur dans le domaine des lettres et des sciences du langage, de par sa richesse en informations, sa clarté et la méthode d’analyse adoptée dans les différents chapitres.
Bellil Yahia.
Le théâtre de Mohya, adaptation et créativité de Nasserdine Ait Ouali.
Edité chez l’Odyssée, en 2022. 205 pages. Prix : 650 DA.