La religion des Kabyles : retrouver sa spiritualité ancestrale

La question du retour aux racines spirituelles kabyles suscite un intérêt grandissant, alors que de nombreux Kabyles cherchent à renouer avec une identité spirituelle effacée par des siècles de syncrétisme religieux. Influencés par diverses civilisations — phénicienne, romaine, chrétienne, islamique — les Kabyles ont vu leurs croyances et leurs pratiques évoluer sans jamais rompre totalement avec leur héritage ancestral. Aujourd’hui, certains plaident pour une renaissance de la spiritualité amazighe, voire d’une religion kabyle, en particulier face à ce qu’ils perçoivent comme une injustice historique.

En effet, les Amazighs (Berbères), parmi les premiers à adopter et à diffuser la pensée monothéiste, n’ont pas toujours récolté la reconnaissance méritée. Ils ont pourtant donné au monde des figures emblématiques du christianisme, de l’islam et du judaïsme, telles que Saint Augustin, Saint Cyprien, les Donatistes, Gélase, Ibn Tashfin, Ziri et Ibn Khaldoun, Rabbi Israël Abouhatzeira, qui incarnait une sagesse spirituelle profondément ancrée dans les traditions locales. Bien qu’ils aient contribué à la formation de grandes traditions spirituelles, leur propre spiritualité et culture ont été marginalisées.

Or, il est essentiel de distinguer la spiritualité kabyle de la religion institutionnalisée. Alors que la religion codifiée répond à des besoins sociaux et politiques, la spiritualité est, elle, personnelle et communautaire, ancrée dans les rythmes de la nature, les forces cosmiques, et un respect profond des ancêtres et des esprits. Le retour à une spiritualité authentiquement kabyle pourrait offrir une alternative pour ceux qui ressentent un vide spirituel dans la modernité. Cette renaissance permettrait de redonner vie aux anciens symboles, aux rituels oubliés et à une forme de pensée qui, loin de diviser, pourrait réconcilier passé et présent.

Pour beaucoup, la redécouverte de cette dimension spirituelle kabyle serait une manière de sauver des siècles de pensée et d’héritage culturel, en forgeant une voie spirituelle propre, enracinée dans les traditions amazighes tout en étant adaptée aux défis du monde contemporain. Cette quête d’identité spirituelle n’est pas simplement un retour en arrière, mais une réappropriation de l’histoire et un moyen de recréer une connexion profonde avec le monde naturel et l’universel.

Les symboles ancestraux : croix et lune

Autrefois, les symboles de la croix et de la lune ornaient chaque maison kabyle. La croix, bien avant d’être un symbole chrétien, avait une signification cosmique et spirituelle pour les anciens Amazighs (Berbères), marquant la connexion entre les quatre points cardinaux et les éléments naturels. « La croix était placée au-dessus du croissant lunaire pour renforcer l’invitation à l’abondance. Ces deux symboles ornaient jadis les maisons kabyles ». Contrairement à de nombreuses autres cultures où elle est souvent associée à la féminité, la lune est perçue comme un symbole masculin. Dans la cosmogonie kabyle, la lune représente la force, la clarté nocturne et un lien avec le divin, en contraste avec le soleil (tafukt), qui est considéré comme féminin et associé à la chaleur, la lumière et la fertilité. L’œil, souvent représenté par le « tit » (l’œil), la croix avait une fonction apotropaïque, c’est-à-dire qu’il était utilisé pour éloigner le mauvais œil et les forces maléfiques. Cet œil protecteur se retrouvait dans les motifs des bijoux, des poteries ou sur les façades des maisons kabyles. La lune (aggur), étant un symbole masculin dans la tradition kabyle, incarne la protection et la force nocturne. L’œil (tit), placé au-dessus, pourrait renforcer cette protection en surveillant, en quelque sorte, le monde visible et invisible. Cette combinaison serait donc un moyen de se protéger non seulement des dangers terrestres, mais aussi des forces surnaturelles, assurant ainsi une vigilance constante.

Aujourd’hui, préserver et reconstruire les habitations kabyles traditionnelles en respectant cet héritage symbolique et artistique est essentiel pour raviver une partie de la culture amazighe en danger. Ces maisons étaient construites avec des matériaux naturels, en parfaite harmonie avec leur environnement. La disposition des pièces, l’organisation des espaces et l’ornementation avaient toutes une signification spirituelle profonde.

Rebâtir à partir de ce savoir implique de réintégrer ces motifs anciens et ce respect de la nature dans l’architecture moderne.

La haute valeur spirituelle des tatouages féminins : des points cardinaux

Les femmes amazighes se faisaient tatouer des motifs sacrés, souvent sur le visage, les mains ou les bras. Ces tatouages n’étaient pas de simples décorations corporelles, mais des talismans protecteurs, portant des symboles de fertilité, de guérison et de protection contre le mauvais œil.

Chaque tatouage avait une signification spirituelle précise. Par exemple, des motifs en forme de losanges ou de croix représentaient l’équilibre entre le ciel et la terre, tandis que des lignes et des points évoquaient la connexion à la tribu et aux ancêtres. Chez les femmes, ces tatouages étaient souvent appliqués dès la puberté, marquant leur entrée dans l’âge adulte et leur capacité à porter la vie. Les tatouages avaient aussi un rôle dans les rituels de guérison. Lorsqu’une personne tombait malade, les tatouages pouvaient être réactivés par des prières et des incantations, renforçant leur pouvoir protecteur.

En se faisant tatouer, les Kabyles invoquaient également les forces de la nature, intégrant leur corps dans le cycle sacré de la vie et de la terre.

Le mystère de la statue de bois de Dihya, la reine des Amazighs

Un autre vestige de cette ancienne spiritualité est la légende de la statue en bois de Dihya, la reine guerrière berbère également connue sous le nom de Kahina. Cette figure symbole de résistance face à l’envahisseur, est toujours vénérée non seulement pour ses exploits militaires, mais aussi pour son rôle mystique en tant que gardienne des traditions ancestrales.

Sa statue en bois, selon certaines sources, était au cœur de rituels de protection et de fertilité, bien que les détails exacts de ces pratiques soient aujourd’hui entourés de mystère.

Cette même statue de bois, ou du moins une représentation similaire de figures féminines sacrées, se retrouve dans les processions religieuses en Ibérie (Espagne et Portugal), notamment sous forme de Vierges noires portées en triomphe lors de fêtes populaires. Ces statues, souvent associées à la fertilité, à la protection et à la terre, rappellent la figure de Dihya et pourraient témoigner d’un ancien lien culturel et symbolique entre les Berbères et les peuples de la péninsule ibérique, où les traditions anciennes ont laissé des traces profondes dans les pratiques religieuses locales.

Dans les rituels amazighs, tels que le « Taghenja« , la fiancée de la pluie, des pratiques anciennes de protection et de fertilité sont mises en lumière. Ce rituel, souvent accompagné de danses et de chants rituels, célébrait la terre et ses cycles, avec l’invocation d’esprits protecteurs et de divinités féminines pour assurer l’abondance des récoltes et la prospérité des communautés. Dans ce contexte, une statue ou toute autre figure féminine symbolisant la terre et la fertilité aurait pu être utilisée comme un puissant talisman lors de la résistance face aux invasions arabes.

La naissance dans l’antiquité amazighe : un rite sacré

Les rituels de naissance chez les Amazighs de l’Antiquité étaient empreints de symbolisme et de mysticisme. L’historien chilien Oscar Fonck Sieveking, dans son ouvrage Massinissa, Les Mines d’Atalès, décrit en détail ces cérémonies. La grande prêtresse Markounda, figure centrale de ces rituels, jouait un rôle crucial. Dès la naissance d’un enfant, elle s’occupait de recueillir le placenta et de l’enterrer discrètement dans un lieu sacré. Ce geste symbolisait le lien profond entre l’enfant et la terre mère.

Markounda préparait également des amulettes destinées à protéger le nouveau-né contre le « mauvais œil » et les influences néfastes. Ces pratiques avaient pour but de relier l’enfant aux forces cosmiques et terrestres, un concept fondamental dans la spiritualité ancienne kabyle. Durant les sept premiers jours après la naissance, plusieurs rituels étaient effectués pour assurer la protection et la santé de l’enfant. Le huitième jour, on éteignait la lampe de terre qui avait veillé sur lui, et l’enfant recevait son nom, devenant ainsi membre à part entière de la tribu.

chandelier kabyle Kabyle.com
« Azel » ou « Taqendurt » chandelier traditionnel kabyle.

Les rituels mortuaires amazighs : une communion avec la terre

La mort, chez les Amazighs, en particuliers les Kabyles, n’était pas considérée comme une fin, mais comme une transition vers un autre état de l’existence. Les rituels funéraires amazighs étaient empreints de symbolisme et de sacré, insistant sur le lien entre l’être humain et la terre. Lorsqu’un membre de la communauté décédait, un ensemble de rites spécifiques devait être suivi pour garantir la paix de l’âme et son passage vers l’au-delà.

L’un des aspects les plus frappants des rituels funéraires kabyles était l’importance du retour du défunt à la terre. Avant de procéder à l’inhumation, le corps était enveloppé dans un linceul blanc et entouré d’objets symboliques. Les femmes de la famille veillaient le corps, chantant des lamentations rituelles pour guider l’âme du défunt. Ces chants, appelés Izlan n-lmourti, servaient non seulement à honorer le défunt, mais aussi à éloigner les mauvais esprits.

Le lien avec la terre était crucial. On croyait que le défunt devait être enterré sur la terre de ses ancêtres pour garantir que son âme puisse reposer en paix. Une lampe de terre restait allumée dans la maison pendant trois jours, symbolisant la lumière qui guidait l’âme dans l’au-delà, rappelant aussi les trois nuits durant lesquelles la lune disparaît avant de réapparaître. Ce lien avec le cycle lunaire renforçait l’idée d’un cycle de mort et de renaissance, une continuité avec le cosmos.

Les liens historiques entre les Amazighs et les Vikings : druidisme celto-viking-amazigh

Peu de gens savent que les Amazighs, les ancêtres des Kabyles, ont eu des contacts étroits avec les Vikings. Selon Oscar Fonck Sieveking, ces échanges, qui ont débuté il y a plus de quatorze siècles, ont donné lieu à des mélanges culturels et ethniques. Des Amazighs méditerranéens se sont installés en Scandinavie, et les Vikings, fascinés par les connaissances berbères en navigation et en astronomie, ont adopté certaines de leurs pratiques. Cette histoire commune, bien que peu documentée, témoigne de la capacité des Kabyles à s’adapter et à s’enrichir au contact d’autres cultures.

Similitudes avec la vision essénienne

Comme chez les Esséniens, qui vivaient souvent à l’écart, dans des communautés fermées, les rituels amazighs, notamment ceux dirigés par les prêtresses comme Markounda, se déroulaient souvent en secret, loin des regards, afin de préserver leur dimension sacrée et magique.

Les Esséniens croyaient en la dualité entre la lumière et l’obscurité, et cherchaient à se protéger des influences du mal par la prière et les rituels. De même, les rites kabyles, notamment ceux de la naissance ou des funérailles, intégraient des éléments de protection contre les esprits malveillants et les maléfices, renforçant l’idée que la spiritualité est un moyen de se protéger du chaos.

Cette « vision essénienne » dans le contexte kabyle se manifeste à travers une spiritualité ancrée dans la terre, les cycles naturels, la pureté des rituels et un rapport intime entre le visible et l’invisible. Si les deux traditions sont géographiquement et historiquement distinctes, elles partagent une quête de spiritualité authentique et harmonieuse, basée sur des rituels sacrés qui visent à protéger, purifier et lier les individus à des forces supérieures.

Les grands contours de la religion kabyle

La spiritualité kabyle ancienne, avant l’influence des religions monothéistes, était profondément enracinée dans les cycles de la nature, la vénération des ancêtres, et l’harmonie entre les forces terrestres et cosmiques.

La religion kabyle ancienne, loin d’être en opposition avec les religions monothéistes, en est en réalité l’une des sources mythologiques profondes. En tant que creuset de traditions spirituelles qui ont nourri des civilisations comme l’Égypte antique, elle partage des racines communes avec les grands monothéismes qui se sont développés par la suite.

L’unité divine chez les Amazighs anciens repose sur une vision panthéiste et cosmique, où le divin se manifeste à travers les éléments naturels et les forces de l’univers.

Dans la spiritualité amazighe, les ancêtres jouent également un rôle central dans l’interprétation de l’unité divine. Les ancêtres, bien que mortels, étaient perçus comme des êtres ayant rejoint le domaine spirituel, devenant des intermédiaires entre les vivants et le divin. En les vénérant, les anciens Amazighs reconnaissaient le lien sacré entre le monde physique et spirituel, où l’unité divine était transmise à travers les générations.

La fête de l’Aslil N At Igduden fête des Ancêtres consiste à visiter les tombeaux familiaux et venir secourir et apaiser les âmes errantes.

Une autre fête, Asfell N Iman, la fête de la Purification de l’Ame, pouvait être célébrée à la fin de l’année agricole.

En recréant et en célébrant ces fêtes, les Kabyles renoueraient non seulement avec leur passé spirituel, mais aussi avec une compréhension plus profonde de l’équilibre entre l’homme, la nature et le divin.

Une redécouverte de soi, de son identité profonde et de ses racines spirituelles, est effectivement plus que nécessaire face à l’emprise historique de l’islam et du christianisme papal. Ces religions, tout en apportant leurs propres valeurs et croyances, ont souvent cherché à effacer ou à marginaliser les éléments fondamentaux de la spiritualité amazighe.

L’un des effets majeurs de cette emprise a été la perte de nombreux rites et symboles liés à la nature, aux cycles de la vie et à la vénération des ancêtres.

Le christianisme, a imposé ses propres récits bibliques et figures saintes, reléguant les divinités et les symboles berbères à des marges folkloriques.

C’est au travers d’une redécouverte qu’il est aujourd’hui possible d’envisager une réappropriation complète de la spiritualité amazighe.

Vers un renouveau spirituel ?

Aujourd’hui, alors que l’identité kabyle cherche à se redéfinir face aux pressions modernistes et globalisantes, certains se tournent vers ces anciennes croyances pour retrouver un équilibre spirituel. Renouer avec les symboles, les rites et les valeurs de leurs ancêtres permettrait peut-être de redonner un sens profond à l’existence, tout en renforçant l’appartenance à une terre et à une histoire millénaires.

Le retour à la spiritualité ancienne ne signifie pas pour autant un rejet des croyances actuelles. Il s’agirait plutôt d’une redécouverte des racines spirituelles kabyles, un moyen de réconcilier passé et présent, tradition et modernité. En se réappropriant leur histoire et leur culture, les Kabyles pourraient retrouver la force de leur identité ancestrale et affirmer une fois de plus leur singularité au sein du monde méditerranéen.

Le débat sur le renouveau de l’ancienne religion kabyle est complexe, mais il reflète un besoin croissant de retrouver des repères dans un monde en mutation. À travers les symboles anciens, comme la croix et la lune, et les récits historiques de figures comme Dihya ou Markounda, les Kabyles pourraient redécouvrir une spiritualité en harmonie avec la nature et les forces cosmiques. Ce retour aux sources pourrait bien être une réponse aux défis identitaires et culturels auxquels ils font face aujourd’hui.

Avec la perte du sacré et des croyances, un peuple court le risque de perdre son essence et son identité. Les traditions spirituelles sont plus qu’une simple expression culturelle ; elles constituent le lien fondamental entre l’humain, la nature et le divin. Lorsque ces fondements sont effacés, c’est l’âme même d’une communauté qui vacille, la privant de ses racines et de son rôle dans le grand cycle cosmique.

Pour les Kabyles, il est essentiel de raviver cette connexion avec le sacré, de retrouver le lien intime entre l’enfant et l’arbre, symbolisant la continuité entre les générations et la terre nourricière. Cette relation sacrée à la nature, présente dans les anciens rites, a permis aux Kabyles de vivre en harmonie avec leur environnement et de comprendre la dimension spirituelle de chaque élément naturel.

La nécessité de retrouver les rites initiatiques

Les rites initiatiques, qui marquent le passage de l’enfance à l’âge adulte, sont des étapes clés pour forger une identité collective solide. Ces rites ne sont pas de simples cérémonies, mais des processus spirituels qui permettent à l’individu de se connecter au divin, de comprendre son rôle au sein de la communauté et d’appréhender les mystères de la vie et de la mort. En réintégrant ces pratiques dans la vie kabyle, on pourrait raviver la transmission des savoirs ancestraux, et ainsi, garantir que chaque génération grandisse en lien avec ses racines et son héritage.

Les anciens rites d’initiation kabyles, impliquant des rituels de purification, des offrandes aux esprits de la nature, et des tatouages sacrés, permettaient de renforcer ce lien avec les ancêtres et de préparer les jeunes à leurs responsabilités spirituelles et communautaires.

Faites-nous part de vos idées et réflexions sur la résurgence des fêtes ancestrales et la renaissance des rites sacrés kabyles, pour ensemble raviver l’âme de notre culture.

Yufitran

Rédaction Kabyle.com
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