Kabylie : de 1962 à aujourd’hui, que du temps perdu et des rêves brisés

Depuis l’antiquité à ce jour, la Kabylie était toujours une terre des insoumis ou plutôt tamurt (le pays) des Hommes libres. Jusqu’à l’arrivée des Français, aucun envahisseur ou tyran n’a réussi à pénétrer ses terres et la dominer. Elle a toujours eu sa propre organisation sociale, laïque, démocratique et égalitaire. Elle n’a jamais connu de clergé ou de khalife.

Les Français ont réussi à pénétrer en Kabylie en construisant des routes grâce aux moyens modernes n’existant pas auparavant, rendant ainsi ses villages perchés accessibles aux visiteurs étrangers, sans toutefois chambouler son architecture sociale. Décrite comme étant une farouche république de tributs, elle a fait l’objet d’une multitude d’études et de recherches, environ 700 titres de livres et d’articles lui seraient consacrés durant la colonisation française.


« Au demeurant, si les Kabyles ont alors, certes, suscité une telle curiosité, par ailleurs cependant, leur est également demeurée leur réputation guerrière : réputation qui, conjuguée à la rareté des terres exploitables en leur montagne surpeuplée, a dissuadé bien des convoitises et alors ainsi limité la colonisation agricole à des parties de ces mêmes basses plaines si souvent ravies aux Kabyles, mais tout en épargnant la montagne où l’administration coloniale militaire elle-même (jusqu’en 1880), à ses débuts, n’a guère affecté l’organisation sociale. » (Camille Lacoste-Dujardin).

Le véritable envahissement de la Kabylie s’est produit après l’année 1962. Pourtant, à l’indépendance, la région kabyle disposait de l’armée la plus puissante comparativement à celles des autres wilayas. Elle aurait pu s’accaparer du pouvoir par la force des armes comme l’avaient fait les Alaouites en Syrie. Mais, ce qui n’est plus un secret pour personne, une armée de mercenaires renversa le cours de l’histoire en confisquant l’indépendance de l’Algérie : un colon céda sa place à un autre colon que l’on croyait fossilisé.

Dès son premier discours, le premier président Ben Bella, désigné par l’armée des frontières, annonce la couleur de sa politique. Il déclare que l’Algérie est arabe. Ce qui est un mépris et une insulte à toutes les populations berbères qui avaient toléré la présence de ses ancêtres (qu’il prétend arabes !) sur leurs terres. Même la colonisation française n’a jamais osé cette ineptie. Pour un Kabyle ou tout autre Berbère, l’élément arabe ou français sont des vestiges issus des envahissements de leurs territoires par des civilisations étrangères.

Depuis 1962, la Kabylie n’a jamais cessé de combattre le néocolonialisme

Depuis 1962, la Kabylie n’a jamais cessé de combattre ce néocolonialisme. On traitait les Kabyles de tous les noms : de séparatistes, sachant que c’est bien ce pouvoir qui cultive une forme de racisme abject et un déni d’histoire flagrant en cherchant à nier leur propre existence ; d’enfants de la France (Ouled França) pour invoquer ce qu’on appelait la main étrangère, alors qu’il n’y aurait jamais eu d’indépendance de l’Algérie sans la Kabylie, et le produit de la fameuse main étrangère est bel et bien l’armée des frontières dont était issu ce pouvoir.

Je me rappelle toujours cette journée printanière de l’année 1980, lorsqu’en plein cours de mathématiques, des lycéens entrèrent dans notre collège, situé en plein centre de la ville d’Azazga, pour nous exhorter de rejoindre leur marche afin d’exiger la reconnaissance de notre identité et l’instauration d’un état de droit. J’avais treize ans. Cette journée fut pour moi un sursaut et le point de départ d’une lutte passionnelle qui ne me quitterait jamais.

Comme tous les camarades de ma classe, je rêvais d’une Algérie démocratique respectueuse de toutes les libertés et tournée vers la modernité. Je désirais une Algérie plurielle et non pas celle que voulait nous imposer le pouvoir : un pays, un parti, un peuple, une langue, une religion, un dieu, un président, une armée,…tout cela sonnait faux et véhiculait un mauvais présage. L’unicité est un fantasme et c’est aussi un concept stérile et contre-productif dont le but est de justifier la tyrannie.

Le soulèvement populaire du printemps 80 n’a touché que la Kabylie, concernant le reste de l’Algérie, tout va bien, Madame La Marquise. Al-hamdou lillah. Il avait fallu attendre 8 années pour que toutes les autres régions se soulèvent. C’était les évènements d’octobre 1988. Je les ai vécus en tant que membre du comité des étudiants de l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou. J’avais 21 ans. Grâce à sa maturité dans le combat politique, la Kabylie n’a pas sombré dans le chaos comme cela était le cas dans d’autres régions d’Algérie, y compris la capitale.

Ces évènements ont donné naissance au multipartisme et à une liberté éphémère de la presse. La Kabylie, qui voulait l’instauration d’une véritable démocratie, a choisi son camp naturel, celui des démocrates. Lorsque les Kabyles plébiscitaient le FFS et le RCD, deux partis républicains et démocrates, dans les autres régions, on votait pour le FLN ou bien pour son FIS. C’était ainsi qu’on a abouti à une confrontation sanguinaire entre un délinquant et un psychopathe causant plus de 200 000 morts. Ce même psychopathe tente actuellement de nous entraîner dans ses délires post-traumatiques pour faire porter le chapeau de tous ces massacres à son adversaire.

C’était ainsi que le rêve d’une véritable démocratie se transforma en un horrible cauchemar. Après l’assassinat de Mohamed Boudiaf, le seul président non issu du système ayant suscité de l’espoir chez beaucoup d’Algériens, un ancien membre de la pègre algérienne, dont la place serait à la prison d’El-Harrach, se retrouva à El-Mouradia, une année environ après l’assassinat de Matoub Lounes. Bouteflika alias Boutesrika devint président de la République. Et, un autre cauchemar ne faisait que commencer.

En 2001, la Kabylie se souleva comme un seul homme contre un système infanticide. J’avais 31 ans, diplômé universitaire au chômage. J’étais l’un des représentants de l’Aarch des Ait-Ghovri. Malgré la marche grandiose du 14 juin 2001 organisée à Alger et les 127 personnes assassinées par la gendarmerie nationale parmi lesquels des enfants, aucune région d’Algérie ne nous manifesta un semblant de soutien en organisant une marche ou bien un rassemblement. Boutesrika continuait à être reçu par des youyous et du Tbel en dehors des régions kabyles. La vie était belle, ya hasrra ! ah y addin u-qavach !

Ces évènements firent naître dans l’esprit de beaucoup de Kabyles une prise de conscience qu’il était illusoire de suspendre le sort de la Kabylie à celui de l’Algérie. C’est comme contraindre plusieurs familles à vivre sous le même toit. Cela ne pourrait engendrer que conflits et mal-être. Leur libération de cette contrainte serait la clé de leur émancipation et leur éviterait une autodestruction certaine.

Le reste de l’Algérie finit par prendre conscience du désastre et donne raison à la Kabylie

Dix-huit années plus tard, en 2019, cinquante-sept ans après l’indépendance, le reste de l’Algérie finit par prendre conscience du désastre et donne raison à la Kabylie. Tous les Algériens sont maintenant d’accord pour chasser ce pouvoir illégitime. Cependant, ne soyons pas dupes, nos projets de société restent diamétralement opposés, à moins de croire aux miracles. Contrairement aux autres régions victimes d’une crise identitaire profonde qui les empêcherait, en ce moment et dans plusieurs années à venir, de bâtir un état moderne, La Kabylie était prête pour effectuer cette mission depuis 1962.

La pensée dominante chez les populations arabophones les pousse à se comporter comme une secte dont les gourous sont le Baâthisme et l’Islamisme. L’arabe algérien est une langue plus proche du berbère que de l’arabe littéraire. Les Arabes algériens sont des Berbères relativement arabisés. Cela a été prouvé par une étude récente du génome de l’Afrique du Nord. Mais, comme disait Kateb Yacine : l’islamisation a entraîné l’arabisation, et maintenant, on veut être plus arabe que les véritables Arabes. Une population ayant renié ses origines, croyant détenir la vérité grâce à une religion au 21e siècle et rêve de libérer la Palestine alors qu’elle-même est l’otage d’un système pervers, est-elle prête à vivre dans une République démocratique ?

La population kabyle, dans sa majorité, sait que le temps des foutouhates est révolu et la religion est un choix qui relève de la sphère privée. Ce qui fait la grandeur d’un peuple est son éducation ainsi que son accès au savoir. Si la Kabylie était indépendante depuis 1962 ou, du moins, était autonome dans la gestion de ses affaires intérieures, nous serions devenus un pays aussi développé que l’Espagne ou la Norvège. De l’indépendance de l’Algérie à ce jour, nous avons perdu 58 précieuses années.

Une Kabylie libre et autonome serait plus utile au reste de l’Algérie

Certains activistes kabyles du Hirak (Amussu) se croient investis d’une noble mission auprès du peuple algérien ayant retrouvé son unité face à la junte militaire. Pour ce faire, ils ne font presque plus leurs discours dans leur langue maternelle, évitent l’emblème Amazigh, fréquentent les islamistes et sont convaincus que Ali Ben Hadj est un démocrate. Ce sont certainement les KDS de demain dans le sillage d’Ahmed Ouyahia. Ils jettent la pierre sur les autonomistes et les indépendantistes comme l’avaient fait d’autres avant eux, durant la révolution, à l’encontre de Bennaï Ouali et Amar Ould Hamouda.

Certes, une unité de circonstance est nécessaire pour venir à bout de ce pouvoir perfide, mais, il est impératif d’éclaircir les positions des uns et des autres ainsi que les objectifs de chacun. Il y a un risque de reproduire les mêmes erreurs du passé et de finir par remplacer une tyrannie par une autre. Avant que l’arabo-islamisme nous détruise de l’intérieur, la Kabylie doit œuvrer urgemment pour son autonomie ou son indépendance. Nous n’avons pas besoin d’une permission quelconque pour aller dans cette direction, il s‘agit de nos intérêts vitaux.

Une Kabylie libre et autonome serait plus utile au reste de l’Algérie. Elle serait certainement une oasis de démocratie et un havre de paix. Ces intellectuels arabophones critiquant actuellement son indépendance, comme le faisaient avant eux Ferhat Abbas et les Oulamas avant le déclenchement de la révolution algérienne, y trouveront refuge et soutien. Ils n’auront pas besoin de traverser la méditerranée. Le miracle qui nous a permis d’exister encore après tant de milliers d’années ne serait pas vain.

« Il faut profiter des leçons de l’expérience et se garder des fautes commises dans le passé ». Léon Blum.

Mourad AMAGHNAS
Universitaire

Rédaction Kabyle.com
Mourad AMAGHNAS
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6 commentaires

  1. Pauvre kabyles qui rêvent encore d’une algerie meilleure.
    Qui croient encore à une algerie plurielle democratique où ils pourront trouver leurs places,dans une societé à majorité ancrée dans l’ideologie arabo-islamique.

    Ils doivent prendre conscience qu’ils ne seront que des eternels esclaves d’une algerie qui ne jure que sur leur éradication.

  2. L’Etat arabo-islamique d’Alger est le tombeau des identités amazigh en général et de l’identité kabyle en particulier.Les kabyles qui s’accrochent aux jupons de l’Algérie arabe sont dans une logique suicidaire. Arzâz ur d-ittak tamemt .Akken daghen tasnakta taâravt-tamselmant,anda tezraâ tugdut ur d tettemghay ara !

  3. Effectivement que du temps perdu à force d’attendre après un messie pour libéré la Plèbe Kabyle noyauté dans la caverne de Platon…
    Avez-vous remarqué pour ceux qui regardent Berbère TV ou ceux qui lisent les journaux en l’occurrence Elwatan qui est le plus lu. Jamais ceux qui sont inviter par Berbère TV ou un article dans un journal, pour parler de l’avenir de la Kabylie et proposent des solutions pour s’émanciper du pouvoir corrompus et aller ou de là de se plaindre, mais ils ont l’art et la manière seulement de formulé de belles phrases pour vivre de l’espoir comme des enfants qui se plaignent à leurs mamans pour des boubous causaient par les méchants.
    Je dis à cet animateur journaliste de Berbère TV « Kamel THARWIHT » de poser des questions à vos invités dans le sens à trouver des solutions pour mobiliser les Kabyles pour qu’ils prennent leurs destins en mains et ceux de leurs enfants qui est l’avenir du pays!
    Chacun de nous sait que trouver la solution par une médiation ou par diplomatie avec les arabisants est un cul de sac .
    Donc la solution ne peu venir que nous même et personne ne viendra à nôtre secours pour des raisons économiques!!!

  4. Je suis fière d être kabyle , la kabylie va être indépendante l Algérie va hyper mal, alors que la kabylie tout va bien pour moi il faut que tout les kabyles de France d Angleterre du Canada manifeste pour l indépendance

  5. Autonomie ou indépendance ? Quand on est un esclave entravé des pieds et des mains, on ne sollicite pas qu’on nous libère nos poignets et qu’on nous laisse des chaines autour des chevilles ! Cela c’est encore de l’esclavage. Ainsi un Kabyle en Algérie est sans Liberté. L’autonomie en Algérie n’est pas de la Liberté. Changer un maître par un autre ce n’est pas être Libre. La liberté est complète ou elle n’existe pas. Quand la liberté n’est pas totale, ce n’est pas assez !

  6. En 1962 les kabyles se sont fait usurper par des imposteurs arabo-islamistes qui leur ont confisqué leur indépendance. Une forme de colonialisme a été remplacée par une autre, voilà tout. Les kabyles se sont vus imposer une autre langue et même une autre religion par de faux moujahidines qui ont saisi l’opportunité de se substituer aux vrais combattants kabyles qui avaient été décimés.

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