Histoire de la métallurgie en Kabylie : un pays riche en minerais

On trouvait des gisements de fer et bonne teneur qui furent exploités durant l’Antiquité et le Moyen-Âge : gisement de fer au Djbel Hadid aux Beni Foughal, de l’hématite de fer près de l’oued Iboukaren et du fer oligiste chez les Ath Mimoun et chez les Ath Guendouz.

La Kabylie est une région riche en minerais, dont certains étaient déjà exploités au Moyen-Âge. C’est le cas tout d’abord du fer, indispensable dans de nombreux domaines. Les mines des montagnes de Bougie sont signalées par al-Idrīsī et Léon l’Africain. La renommée de ce fer s’étendait jusqu’en Orient, puisqu’un traité d’armurerie composé pour le sultan Saladin cite les mines de fer de Bougie. El-Bekri : “Maġrib avait, dans la région montagneuse des Qtama (Kabylie des Babors) des gisements dont les habitants exportaient le minerai en Ifrīqiya, par les ports de Djidjelli et surtout de Bougie”. Léon l’Africain signale que les tribus qui habitaient les montagnes de Béjaïa sont riches, nobles et généreuses. Il existe dans ces montagnes des mines de fer. On fait de ce fer de petits lingots d’une demi-livre qu’on utilise en guise de monnaie. On frappe aussi quelques pièces d’argent du poids de quatre grains. Marmol, au XVIe siècle, signalait plusieurs faiseurs de poudre parce qu’ils ont des mines de salpêtre et les marchands leur portent du soufre de France. Ils ont aussi des mines de fer et de bons ouvriers qui fabriquent des épées, des poignards et des fers de lance. Dans son journal, Jean-Baptiste Gramaye signalait qu’en 1619, le Outan (province de Béjaïa) fournissait en argent 14 000 doublons pour son activité économique. Le docteur Shaw affirme que les habitants fabriquaient des quantités considérables de socs de charrues, de bêches et autres instruments aratoires qu’ils forgeaient avec du fer extrait des mines environnantes et vendus à Bougie et à Alger. Au début de la conquête de la Kabylie (1840-1850), les rapports militaires signalaient Ihitoussene l’existence d’une industrie du fer et des métaux (Carette 1848) dans plusieurs tribus kabyles et quelques-unes étaient même spécialisées. En réalité, le travail du fer était une pratique fort répandue dans de nombreux villages, car sa raison d’être première était de répondre aux besoins de la vie quotidienne, dont ceux inhérents à l’activité agricole (instruments aratoires, faucilles, pioches, haches…). A. Hanoteau et A. Letourneux, dans leur œuvre encyclopédique sur la Kabylie parue en 1873 firent état de l’habileté des ouvriers du fer (Iheddaden), du bois et de la panoplie de produits de forge fabriqués. Le cuivre se rencontre également en Kabylie. On l’extrait, on l’emploie dans les bijoux. Fondu avec le zinc, il compose un laiton fort utile pour les poires à poudre, montures de flissas, manches de poignards, etc. D’après Ch. Farine (1882), les Barbachas fabriquaient eux aussi des sabres, des couteaux et différents instruments agricoles : socs d’araires et pioches principalement. De même, les Ath Yenni, aujourd’hui spécialisés dans la seule orfèvrerie émaillée, étaient aussi reconnus comme des armuriers réputés, et leur art, prisé et raffiné, leur faisait écho et atteignait Tunis, Fès et Tripoli. La tribu des Flissas confectionnait l’arme blanche qui portait son nom avec le fer des Barbachas et de l’acier venu d’Orient. Les flissas ou sabres kabyles ont fait l’objet d’une étude très minutieuse et fort complète de la part de C. Lacoste (1958) ; les poignards ou sabres flissa étaient très recherchés. Hamdane Khodja, écrivit au XIXe siècle, à propos des villages de Kabylie : “Il y a dans ces villes des manufactures d’armes à feu : on y forge même des canons de fusil incrustés avec de l’argent. On y fabrique des platines. On connaît la méthode d’extraction du fer de la terre. Les fabricants possèdent des mines de plomb et du salpêtre en grande abondance. Ils sont très industrieux, leur industrie consiste principalement dans les fabriques de burnous fins et des couvertures en laine fine dont on pourrait faire usage dans les grandes villes. On y voit des ateliers où l’on frappe la fausse monnaie. Ils ont une adresse et une capacité extraordinaire pour graver sur le métal et pour imiter toute espèce de monnaie…”

Eudel signale dans la commune mixte des Ath Abbes la présence d’une cinquantaine de bijoutiers. Ils passent pour être les plus habiles dans la confection des fusils incrustés de corail et d’argent. Ils façonnent le bois et font le canon à l’aide d’un martelage de rubans de fer appliqués sur une tige en métal. E. Carette, 1848 : “Les Toudja sont très industrieux et habitent un pays riche qui produit en grande quantité des oranges, des citrons, du raisin, du miel et même des céréales. Ils ont plusieurs ateliers de forgerons et fabriquent des platines de fusils. C’est donc une tribu laborieuse.” Dominique Valerian : “On extrayait d’autres richesses du sous-sol tels que le cuivre, le lapis-lazuli ou le gypse, près de la ville. Les documents commerciaux parlent également d’alun de Bougie.” Eugène Daumas : “Nous connaissons la réputation industrieuse du Kabyle. Il forge des armes, des canons, des batteries de fusil, des yatagan, des poignards, fabrique la poudre qui ne tache pas les mains. Chez les Ath Iraten de Tizi Aïdel, il y a autant d’officines de poudre que de maisons. Mais parmi les nombreuses industries en Kabylie, une occupation particulièrement originale est pratiquée sous un mode non marginal : celle de la fausse monnaie. Depuis un temps immémorial, les Kabyles fabriquent de la fausse monnaie de tous les pays du monde ; avant que l’armée française n’oblige les villageois à surseoir à cette activité.”

Les anciens bijoux de la Kalaa Ath Abbes

On trouvait des gisements de fer et bonne teneur qui furent exploités durant l’Antiquité et le Moyen Âge : gisement de fer au Djbel Hadid aux Beni Foughal, de l’hématite de fer près de l’oued Iboukaren et du fer oligiste chez les Ath Mimoun et chez les Ath Guendouz. Deux mines de fer très abondantes, l’une chez les Berbachas, l’autre chez les Beni-Sliman ; le minerai en roche est traité par le charbon de bois dans un bas fourneau, à l’instar de la méthode catalane ; les soufflets sont en peau de bouc et fonctionnent à bras d’hommes.

La tribu des Flissas confectionne l’arme blanche qui porte son nom avec le fer des Berbachas et de l’acier venu d’Orient. On exploitait deux gisements constitués d’amas d’hématite à Tiklat, à Timezrit et aux Beni Felkai. Des mines de plomb argentifère, chez les Béni-Djelil, minerai de cuivre près de Toudja. Du plomb, du cuivre et de l’argent sont signalés entre Jijel et Béjaïa. Du plomb et salpêtre à Ath Boutaleb (entre Sétif et Bougie), les mines de plomb qui se trouvaient dans ce territoire étaient en assez grande quantité. Il y avait aussi dans l’arrière-pays de Béjaïa des mines importantes signalées par El Bekri , El Idrissi et l’Anonyme du kitab el istibsar “à Madjana el Maadin” appelée par la suite Madjana el matahin (Medjana des meules) car on fabriquait, selon El Bekri, les meilleures meules de moulin du monde. Le médecin Jean-André Peysonnel, qui visita les côtes nord-africaines en 1724, note que les Kabyles “étaient des savants faux-monnayeurs soit en usant de faux coins, soit en se servant d’alliages assez difficiles à connaître”. Carette comptait au XIXe siècle entre 120 et 130 échoppes d’artisans pour la seule tribu des Ath Yenni. À la kalaâ Ath Abbes, à Djemaa Saharidj, à Ath Hassan, il y a de nombreuses forges où sont fabriqués des socs de charrue et d’autres outils aratoires. La tribu des Beni Slimane (djebel Kendirou) tirait la plus grande partie de ses ressources de l’exploitation d’une mine de fer à ciel ouvert dont elle extrayait le fer pour le vendre à des tribus spécialisées dans la métallurgie, en particulier dans l’armurerie (Ath Yenni, Ath Fraoucen, Ath Abbes). Les principaux fabricants d’armes à feu sont les Ath Abbes : leurs platines, plus renommées que leurs canons, réunissent l’élégance et la solidité ; elles s’exportent jusqu’à Tunis. Leur bois de fusil est en noyer. Ils montent l’arme tout entière. Les canons des Soualias (qui habitaient les bords de l’oued Akbou) étaient très recherchés, seuls dans la régence, ils fabriquaient des batteries qui avaient une si grande réputation qu’elles s’exportaient jusqu’à Tunis avant l’occupation française. Si Amar Oussaïd Boulifa : “Les maîtres forgerons d’Ath-Idjeur (actuellement Bouzeguène) fabriquaient des armes…”, Boukhalfa Bitam, dans son ouvrage Les justes, raconte comment les armes de l’insurrection armée, fabriquées à Ihitoussène (Bouzeguène) étaient acheminées à dos de mulet vers les ateliers de haute précision des Ath-Yenni pour y subir les finitions. Les lieux-dits témoignent de la présence du forgeron-orfèvre : Tagemmunt Iheddaden (colline des forgerons) ; Talla, Taâwint, Tizi,… Iheddaden, la Fontaine, la Source, le Col … des Forgerons ; Ihitoussène (pluriel du nom berbère ahitos qui veut dire forgeron ou encore fils du dieu de la forge Héphaïstos, dans la mythologie grecque), Taxerrubt, Ighil, Agwni… bb-wennad (annad:forgeron), le clan, le versant, le plateau… de l’artisan, seuls toponymes qui attestent encore, en Kabylie, d’une terminologie aujourd’hui disparue, mais qui, par leur mémorisation, rappellent bien le métier de forgeron.

Par : SORAYA BOUDJOU

CHERCHEUSE ET MILITANTE ASSOCIATIVE

source : Nadia Tudert

Rédaction Kabyle.com
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