Folklore musical kabyle et critique du dernier clip de Younes Boudaoud

Younes BOUDAOUD est un artiste kabyle et un militant associatif très connu parmi la diaspora Kabyle en France, particulièrement les associations parisiennes. Il préside une association culturelle à Bobigny qu’il a appelé « Axxam N Vava Ynu-VA ». Ceux qui ne connaissent pas Younes Boudaoud connaissent obligatoirement sa chanson, un tube populaire en Kabylie,  »Ourdia N Treize » c’est une chanson humoristique, satirique chantée sur un air de folklore kabyle ancien.

Il faut savoir qu’il est difficile de situer dans le temps le genre humoristique dans le folklore musical kabyle tant il est ancien, ça a donc existé depuis très très longtemps, je donne ici l’exemple de « win yufan tamghart » :

Win yufan tamɣart d tayaẓiṭ yebban

Win yufan tamɣart d tayaẓiṭ yebban

Ad tt-yerr ar tasilt ad as-yernu lluvyan, vava lwali

Win yufan tamɣart d jjip iqersen

Win yufan tamɣart d jjip iqersen

Ad tt-yawi ar lexla akken ad tt-yecc wuccen, vava lwali

« APEḤPUḤ » : le titre d’un folklore qui se tue sans vouloir se taire

Ce genre de chansons était une manière aux femmes kabyles d’antan de distraire l’atmosphère et de parler de leurs souffrances et leurs problèmes sur un air satirique, on dit chez nous : seḍsayent lemḥayen, on dit aussi lhemm yesseḍsay, c’est comme si on riait de nos problèmes pour pouvoir surmonter les difficultés de la vie. Aux rythmes d’un instrument de percussion qui n’est qu’un bidon d’eau, d’huile, une table ou une chaise, on critiquait la belle-mère, les plus jeunes racontait la souffrance amoureuse d’un homme qui ne vient pas, que la famille refuse ou qui est parti en France ou faire son service militaire. Je profite de ce texte pour pérenniser un autre chant qui me vient à l’esprit c’est : Ccah ccah a tamghart ;

Ccah ccah a tamɣart, mmi-m yefka-yid alef

Ma yella ur tevɣiḍ ara, ṛuḥ ad tcetkiḍ di Vgayet

Acu a’m-inin di Vgayet alahalala, mmi-m yebbi-d m’uḥayek, a rrveḥ-im

Ccah ccah a tamɣart, mmi-m yefka-yi duṛu

Ma yella ur tevɣiḍ ara, ṛuḥ ad tt-cetkiḍ ɣ’lbiru

Acu a’m-d-inin di lbiru alahalala, mmi-m yebbi-d yebbi-d m’ustilu a rrveḥ-im

Ou une autre chanson que les jeunes chantent par exemple,  »aɛeqqa n lǧawi » :

Aɛeqqa lǧawi ay ul-iw awi (X3)

Yi’bbas i zewǧeɣ iṛuḥ yeǧǧa-yi

Aɛeqqa lkesveṛ ay ul-iw sveṛ (X3) 

Yi’bbas i zewǧeɣ iṛuḥ a’lɛeskeṛ

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Parfois, faire l’éloge d’un homme, le marié ou le jeune ayant réussi ses études ou l’homme qui fait honneur au village par un poste qu’il décroche dans une grande institution par exemple, « bb’ilan wihin » :

Bb’ilan wihin ar ṭṭruj (X2), taɛenqiqt am uferruǧ (X2)

Ad cekkreɣ sidi (*******) d ṭrejman g’uxxam lǧuǧ

Avoir un corps de la chanson qui est fixe pour ne changer qu’une partie aidait à la création et la répétition de ces parties plusieurs fois, ça peut aller jusqu’à quatre fois, comme dans l’exemple ci-dessus donnait du temps pour réfléchir à de nouvelles paroles, c’est donc un genre artistique et musical existant, connu de tous.

Je reviens maintenant au clip de Younes Boudaoud, au début je n’ai pas aimé du tout ce qu’il a fait, je m’étais dis que c’était une insulte à la chanson kabyle, un art tellement cher aux kabyles, peut-être plus que les autres peuple, étant donné que c’est un peu grâce à la chanson que notre identité a été préservé, c’est devenu un canal, un moyen de la revendiquer et de dire l’indicible, ce qui serait interdit de dire dans un meeting on le dit par la chanson, c’est comme un canal libre, on a vu les CD de Ferhat Mehenni se vendre légalement en Kabylie jusqu’à il y a 5 ans où la répression algérienne est devenue de plus en plus violente avec les indépendantistes. Donc oui, si on compare les chansons de Younes Boudaoud à Matoub ou à Aït-Menguellet, on verra ça comme du bruitage, un foutoir un bazar artistique, on pourrait même penser que ce serait ce qui a inspiré Karim Akouche qui a intitulé son œuvre « La musique déréglée du monde » ! mais après réflexion, je pense qu’il faut tout mettre à sa place et ne pas comparer l’incomparable. Ce que fait Younes Boudaoud est un genre musical particulier qui a ses règles particulières, on ne va pas le comparer à Idir, il ne s’agit pas, là, de dire ce qui est mieux et ce qui est pire, c’est juste différent. La première erreur de Younes Boudaoud c’est de ne pas préciser son style, de ne pas faire cette comparaison que j’ai faite avec un genre de musique qu’on connaît tous, on n’a juste pas fait le lien entre ses chansons et celles de Younes Boudaoud.

Je pense qu’il faut d’un côté encourager Younes Boudaoud pour continuer à faire vivre cette partie du folklore kabyle, il a des chanteurs qui les chantent dans les fêtes, j’ai trouvé Thanina et Samy sur YouTube ou encore le groupe de femmes  »Urar n Lxalat » « Tiɣṛi n Uẓar ».

Avec tous ces exemples on voit bien des signes et des détails qui situe ce genre d’art, avec Samy l’instrument  »Avendayer » avec « Tiɣṛi n Uẓar » c’est encore plus clair du fait que c’est des femmes, puis leurs robes kabyles et puis  »Avanedayer » ici encore, alors que Younes Boudaoud réalise des clips du genre de chansons modernes avec des instruments le synthétiseur mais surtout une absence totale d’Avendayer, qui est un peu la carte d’identité, et le laisser-passer de ce folklore.

L’absence totale d’institutions politiques artistiques officielles

Mais le point noir de ce clip pour moi c’est le temps. J’ai bien calculé, sur les 5 minutes et 12 secondes, il y a 50 secondes de création artistique réelle, si je supprime les répétitions du refrain qui dure 14 secondes qui a été répété 4 fois, j’ai 4 petites phrases allant de 7 à 10 secondes, tout le reste c’est du rabâchage lassant. Donc si Younes Boudaoud a gagné des points en faisant revivre un folklore kabyle de plus en plus oublié et en abordant un sujet sociétal sérieux avec humour, il a aussi perdu sur le plan de quantité de création poétique et des paroles, en termes de pourcentage nous avons 9,77% de création sur plus de 90% de répétition, itezzi itenned dit-on en Kabyle. Évidemment qu’il y a aussi le point de l’absence totale d’institutions politiques artistiques officielles pour subventionner notre art et donc créer des chef-d’œuvre qualité. 

Cet article n’a pas pour but d’attaquer notre frère Younes Boudaoud, bien au contraire il explique ce qu’il a fait et le situe dans son style justement pour le défendre. Il fait des critiques réelles et argumentées sur la durée du clip et la quantité de création qu’il y a pour éviter les critiques péjoratives, irraisonnables et sans intérêt. C’était aussi une occasion pour enregistrer à l’écrit certaines chansons du folklore oral que j’ai entendu dans les fêtes ou chez ma mère, ce folklore qu’il faut préserver en l’écrivant dans des livres et des CD. La force de ce folklore c’est qu’il demeure malgré la modernité et la volonté de tuer un folklore kabyle, symbole d’un peuple auquel on dénie le droit d’exister, c’est donc toujours une bonne chose que de mettre sur un piédestal tout ce qui nous définit et nous aide à nous identifier sur le plan artistique, historique, anthropologique, etc. Cependant, c’est aussi une grande responsabilité qui peut être contre-productive, car en le faisant mal, on est en train de participer à isoler cet art et à tuer cette culture qui refuse pourtant de se taire.

Yiwen Nat Wissen

Rédaction Kabyle.com
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