Confessions d’un « Kabylillois »

Je rêvais de retourner chez moi avec [dans] l’idée d’acheter des meubles pour lesquels j’avais trouvé une place, d’avoir une belle voiture et beaucoup d’argent, car revenir au pays les mains vides est un sacrilège.

D’année en année, une fastueuse toile, un sublime canevas se tisse en moi. Une toile qui m’enveloppera sur mesure. De fil en aiguille et de naissance d’enfant en naissance d’enfant, l’envie de retourner au pays s’amenuise.

Une deuxième patrie se profile alors pour moi jusqu’au façonnage définitif. Le temps a fait son travail. Il m’a donné la chance de posséder deux patries : la première avec tout son charme de coeur ouvert à l’autre, d’un tempérament du Sud de la Méditerranée dans toutes ses dimensions, la deuxième celle de mes enfants, désormais mienne, avec sa très grande culture, l’humanisme de ses grands auteurs, sa tolérance et sa rationalité de grande nation. Son éthique est sans complaisance, j’ai souscrit foncièrement et totalement à sa laïcité.

En Afrique du Nord berbère, où je suis né, la laïcité est séculaire et y est naturellement pratiquée avant la séparation des pouvoirs politique et religieux, en France, au début du siècle dernier. Pour comprendre cela, il y a nécessité de rappeler que l’Afrique du Nord berbère fonctionne selon le schéma tribal : Taqblit-arch-taddart-adrum-taxarubt-axxam.

Dans ce système de fonctionnement, le pouvoir religieux est d’emblée séparé de tous les autres pouvoirs, à l’image de celui de l’Assemblée du village, « Tajmaât », où le religieux n’intervient que dans deux cas bien précis : le mariage et le décès. Le reste des pouvoirs qui régissent la société villageoise, par exemple, revient à « Tajmaât ». Pour ne pas tergiverser, ni chercher midi à quatorze heures, étant né dans ce contexte, par définition, je suis donc laïc sans équivoques. J’insiste que cela est ancré dans chaque tête d’un Nord africain (où qu’il vive). Tout autre discours est erroné et falsificateur de la réalité de cette partie du monde.

Cette précision donnée, la somme de mes deux patries construit ma personnalité, ce qui me rajoutera un petit soupçon de plus value d’un autochtone à un autre, et, à aucun moment, je ne me sens en errance « entre deux rives ».

La douce et musicale langue de ma fraîche patrie va me structurer et me transformer radicalement. J’en tirerais même un grand profit. C’est un prestige pour moi de posséder une merveilleuse langue avec toutes ses conjugaisons. Une langue précise et conceptuelle, qui véhicule tout, tout, absolument tout, de la civilisation de l’Homme. Elle me trace les voies de la faculté d’entrevoir, de m’exprimer, de comprendre, de composer, d’analyser, de pouvoir faire, même de rêver avec.

Oui, de rêver avec, n’en déplaise à l’ectoplasme Tahar Ouettar qui fait partie de cette caste de larrons et d’illustres olibrius iniques, de liberticides, d’ethnocides affligés d’une arriération soulignée qui sont aidés par une stratocratie ex cathedra, composée de faquins et de farauds. Ces vieilles badernes bâtées d’une idéologie panarabo-islamo-baâthiste, qui ont organisé une mainmise sur mon pays pour imposer leurs ubuesques logorrhées levantines absconses et abstruses, ravageuses et destructrices jusqu’à l’ilotisme du peuple pour parachever l’ex-tâche coloniale. Même exilé, je ne jette pas le manche après la cognée, devant ces pauvres hères : mon combat continu !…

Il m’arrive de rencontrer ma maman dans mes suaves nuits bleues quand je dors, où je lui parle en français, elle, qui m’a si bien parlé et appris la langue de mon tréfonds : tamazight (berbère en kabyle).

Le tandem kabylité-algérianité se renforcera par de nouveaux acquis pour devenir un « kabylille » vivant depuis plus de trente années dans ce que j’appelle « ma contrée kabylilloise », une terre d’accueil et de travail, et aussi terre de fractures balayée par les vents parfois violents, mais qui savent laisser place à des paysages apaisés. Avec ses champs versicolores et ses canaux, ce plat pays est devenu peu à peu le mien (Jacques Brel l’a si affectueusement et admirablement bien chanté qu’il l’a rapproché de moi pour me le faire sentir). Quel bonheur de vivre dans une région où il fait bon vivre ! Un région qui me fascine autant que me fascine ma Kabylie montagneuse, belle et rebelle, qui m’a vu naître et grandir. Bien sûr, je pense beaucoup à ma tendre enfance qui est revêtue par le cauchemar de la guerre, que la trame et l’épaisseur du temps n’ont pas effacé, comme ces agréables souvenirs des fragrances que mes narines avaient capté pour une éternité. Je pense également et surtout à ces très belles années de lycéen passées à Dellys au début des années soixante où j’ai croisé un excellent panel de jeunes compatriotes et camarades de classe, tous internes, venus de toutes les régions du pays, qui ont constitué ma culture de base aujourd’hui agrandie. Ces années de lycéen furent pour moi une période de mon affirmation d’homme au contact de ce monde que je ne connaissais pas. Une métamorphose, une découverte. J’y trouvais une force, grâce à l’enseignement de très bonne qualité dispensé dans l’établissement, une force de faire « quelque chose », décrocher la timbale sur ma terre natale. Mais le destin et les aléas de la vie ont fait autrement.

Tout s’est envolé vers l’exil, pour vivre parfois une tragique rupture avec mes origines, mon originalité. Le départ vers l’inconnu m’enracinera définitivement dans le déracinement. Un autre visage.

Ma consolation viendra du contact que j’ai maintenant avec les profondeurs de ma deuxième patrie que, pourtant, mon père avait autrefois combattue pour son colonialisme… elle m’offre aujourd’hui toutes ses largesses, avec beaucoup de points de repères qui sont recherchés de tous. Une chance.

La France que mon père avait autrefois combattue semble être renvoyée, hélas, aux calendes grecques… et puis le passé est au passé.

Azouz Hachelaf

Architecte chanteur

Rédaction Kabyle.com
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Un commentaire

  1. Je suis fier d’avoir été en Kabylie durant la guerre coloniale depuis 1961, j’ai regretté qu’il n’y ait plus de liens étroits avec la France. Sur ma médaille de commémoration de cette guerre j’ai agrafé l’insigne Berbère, en souvenir des maquisards que nous avons combattus. Vive la Kabylie Libre.

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