Tous les 15 jours une langue autochtone disparaît

Intervention de Belkacem Lounès, Secrétaire Général du Congrès Mondial Amazigh à la 15ème session du Mécanisme d’Experts des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones Palais des Nations, Genève, 4-8 juillet 2022 – Item 7 : Décennie des langues autochtones.

Mme la Présidente,

Chers participants,

Bonjour à toutes et à tous,

Azul fellawen,

Je remercie très sincèrement les membres et le secrétariat du Medpa de m’avoir invité à prendre la parole ici sur le sujet des langues autochtones, sujet dans lequel je suis impliqué depuis de nombreuses années et qui me tient particulièrement à cœur.

Je dois dire aussi que je suis très ravi de vous retrouver tous ici dans cette salle du Palais des Nations, après une trop longue coupure dûe à la pandémie du covid-19. Et en ce moment précis, j’ai une pensée spéciale pour ma sœur Kamira Nait Sid, qui aurait dû être présente ici dans cette salle comme elle en a l’habitude, si elle n’était pas emprisonnée arbitrairement en Algérie. Je demande une nouvelle fois sa libération immédiate et je pense aussi à tous mes frères et sœurs Amazighs détenus en Algérie et au Maroc ainsi qu’à tous les autochtones victimes des abus de pouvoir dans toutes les régions du monde.

Je reviens à présent au sujet de mon intervention. Lorsque l’on parle des espèces disparues ou menacées de disparition, on pense bien souvent aux lions, aux éléphants, ou à certaines plantes mais on pense rarement aux langues autochtones. C’est dire si les responsables à tous les niveaux, les médias et l’opinion publique en général, n’ont pas conscience du tout ou pas suffisamment conscience de l’ampleur du grave problème de la disparition des langues autochtones, ni des conséquences de la perte des langues autochtones, non seulement pour les peuples qui ont inventé et qui utilisent ces langues, mais aussi pour toute l’humanité.

Tous les 15 jours une langue autochtone disparait. Quasiment toutes les langues autochtones sont menacées de disparition à plus ou moins brève échéance. Si rien n’est fait, avant la fin de ce siècle les 2000 langues autochtones auront disparu. Et en conséquence, tous les peuples autochtones sont menacés de disparition à cause notamment de la perte de leur langue et des processus en cours de déculturation et de l’assimilation forcée.

Pour les peuples autochtones, leurs langues constituent un élément essentiel de leur personnalité et de leur survie collective, au même titre que leurs terres, leurs territoires et leurs ressources naturelles. Un peuple autochtone qui a perdu sa terre est déraciné physiquement, il va errer quelques temps puis s’effacer définitivement. Un peuple autochtone qui perd sa langue est déraciné spirituellement, culturellement, il perd le sens de l’orientation et il se perd tout simplement.

Pour l’humanité, la perte d’une langue autochtone signifie la perte d’une richesse, la perte d’une chance, la perte d’une manière de vivre, la perte d’une manière d’appréhender le monde et la perte de savoirs et savoir-faire originaux. La disparition d’une langue autochtone est un appauvrissement pour la communauté humaine.

Voilà en bref pourquoi il est crucial de sauver les langues autochtones.

Par ailleurs il est toujours utile et très important de rappeler et de marteler que les langues maternelles, y compris les langues autochtones, sont un droit, un droit fondamental, inscrit au cœur des droits humains, comme le rappelle notamment la DNUDPA et comme le rappellent les rapports de l’ONU comme ceux du Medpa sur la culture, l’éducation, les droits des enfants… Les Langues autochtones sont directement liées à 9 ODD sur les 17, et indirectement à tous les autres…

Donc, maintenant on ne peut pas dire qu’on ne sait pas, on sait, on connait le mal, et ce mal est grand et profond et ses conséquences sont mortelles pour les peuples autochtones et désastreuses pour l’humanité. Il nous faut donc trouver en urgence un remède à la hauteur du mal, un remède puissant, un remède de cheval, un remède qui permet d’inverser la tendance.

Les langues autochtones vont mal, certaines sont déjà mortes et d’autres agonisent, presque dans l’indifférence. Il n’y a pas ou il y a très peu de prise de conscience, il n’y a pas ou très peu de considération pour les langues autochtones mais au contraire beaucoup de mépris, il n’y a pas ou très peu de politique publique, pas ou très peu de moyens budgétaires. Telles sont les causes de la mort lente des langues autochtones.

Après l’année internationale des langues autochtones en 2019, la décennie des langues autochtones peut constituer une réelle opportunité pour arrêter le déclin dramatique des langues autochtones et remonter la pente. Mais pour cela, on ne peut pas se contenter du peu d’efforts consentis aujourd’hui. Il faut des efforts nouveaux, multidimentionnels et d’un haut niveau, de tous, à commencer par les Etats et les organisations intergouvernementales.

Les langues autochtones doivent être légalement reconnues et protégées par des lois et cela est urgent ! Les politiques de promotion des langues autochtones doivent être décidées et mises en œuvre en accord et en partenariat avec les peuples autochtones et c’est urgent ! Les moyens institutionnels et financiers doivent être portés à la hauteur de l’ambition de réhabiliter et de sauver durablement les langues autochtones et c’est urgent ! Finis les gestes symboliques et les discours aimables, il faut des actes concrets et à la hauteur de l’enjeu.

Les peuples autochtones ont également un rôle crucial à jouer, en proposant des solutions, en mobilisant une partie de leurs ressources et en poursuivant sans relâche la sensibilisation et le plaidoyer aux niveaux national, régional et mondial. Je suggère de nommer des personnalités médiatiques, notamment du monde des arts et du sport, comme ambassadrices des langues autochtones et il serait à mon avis très utile d’avoir une Greta Thunberg pour les langues autochtones.

Ne laisser personne de côté, ne laisser personne sur le bord du chemin, sont de très beaux slogans, mais il est grand temps de passer des paroles aux actes concrets. Récemment, le SG de l’ONU, M. Guterres a tiré la sonnette d’alarme devant un forum des jeunes à Lisbonne sur l’état lamentable des océans, de la biodiversité et du changement climatique. Je suggère d’ajouter à ces 3 sujets de préoccupation majeurs de l’humanité, celui des langues autochtones.

Devant le danger de mort des langues autochtones, nous n’avons pas seulement l’obligation de mettre les moyens nécessaires pour sauver les langues autochtones, nous avons aussi l’obligation de réussir à inverser la tendance. Pour cela nous devons conjuguer nos efforts avec ceux de l’ONU, de l’Unesco, des organisations régionales, des Etats, des ONG et des peuples autochtones. Nous sommes tous responsables du résultat mais nous ne devons pas attendre la fin de la décennie pour faire les comptes. Nous devons veiller à être à la hauteur et sur la bonne voie à tout moment.

Et encore une fois, l’objectif final n’est pas seulement d’attirer l’attention sur les langues autochtones, l’objectif est de garantir la vie des langues autochtones. Personnellement je resterai mobilisé et impliqué en faveur de cet objectif durant toute la décennie des langues autochtones et aussi longtemps que Dieu me prêtera vie.

Merci de votre attention. 

Belkacem Lounès.

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