Intervention de Belkacem Lounes à l’UNESCO

Lancement de l’année internationale des langues autochtones

Unesco, Paris, 28/01/2019
Intervention de Belkacem Lounes

Membre (observateur) du comité directeur de l’année internationale des langues autochtones

Au nom du CMA et de African indigenous peoples network

Chères sœurs, chers frères autochtones,
Chers défenseurs des langues autochtones et des langues marginalisées et menacées
Mesdames, Messieurs,
Azul,
bonjour à tous,
Cela me fait réellement plaisir de vous retrouver ici aussi nombreux pour célébrer ensemble cet évènement exceptionnel en faveur de nos langues. Je salue et je remercie chaleureusement l’Unesco et l’équipe en charge de l’année des langues autochtones pour l’organisation de cette journée de lancement de l’année des langues autochtones. Cette journée permettra au moins
de jeter un peu de lumière sur la réalité des peuples autochtones dans le monde et sur les défis à relever afin qu’ils soient considérés comme partie prenante pleine et entière de la grande famille humaine.

Chez les Amazighs, peuple autochtone d’Afrique du nord, la vie d’un peuple est basée sur troiséléments fondamentaux : Awal-Akal-Afgan ou Amdan (la langue, la terre, l’homme ou plutôt l’humain). On remarque que le premier élément de ce triptyque, c’est «Awal», la langue. Car effectivement, la langue est le premier élément qui non seulement vous distingue, qui vous identifie mais c’est aussi et surtout c’est elle qui permet le maintien des liens sociaux, permet de stocker et de transmettre votre mémoire, vos contes, vos chants, vos croyances, vos savoirs et savoir-faire.

La langue est donc un des principaux fondements de l’existence d’un peuple. Et comme cela est rappelé pertinemment dans la note de présentation de cette journée, chaque langue est une « façon unique de connaître et d’appréhender le monde ». Perdre une langue, c’est perdre une chance de voir les choses autrement, c’est perdre une couleur de l’arc-en-ciel, c’est perdre un paysage, c’est voir disparaitre une espèce animale ou végétale. Perdre une langue, c’est donc un appauvrissement de l’humanité.

Cette année dédiée aux langues autochtones est donc une chance, elle est d’autant plus utile que les langues autochtones sont dans un état de grande vulnérabilité. Elles sont pour la plupart des langues orales dont le nombre de locuteurs diminue, elles sont peu ou pas protégées et bénéficient de très peu d’intérêt et de moyens. Pire que cela, elles sont exposées à un certain nombre de menaces et d’obstacles auxquels il faudra s’attaquer résolument si l’on veut les sauver. Parmi ces menaces et ces obstacles,
– le fait que certains Etats les considèrent comme des concurrentes aux langues officielles de l’Etat, qu’elles sont présentées comme subversives et comme une menace à l’unité nationale,
– le fait que les défenseurs et parfois même les simples locuteurs de ces langues, sont stigmatisés, voire criminalisés,
– les préjugés négatifs qui véhiculent les fausses vérités selon lesquelles les langues autochtones seraient inférieures aux langues dominantes, les langues autochtones seraient incapables de permettre l’apprentissage des sciences, qu’elles seraient donc inutiles, voire pire, un handicap pour le progrès. Cela amène des parents, parfois autochtones, à refuser que leurs enfants apprennent leur langue d’origine. Il me parait donc primordial de mener une campagne vigoureuse à l’échelle mondiale afin de lutter contre ces idées mensongères, racistes et dangereuses.

Mais pour être juste et positif et optimiste, je voudrais saluer les initiatives des organisations intergouvernementales et de certains Etats qui ont pris conscience que les langues autochtones sont une richesse supplémentaire qu’il convient de promouvoir ainsi que les initiatives prises souvent avec des moyens dérisoires mais avec beaucoup d’ingéniosité, par les organisations autochtones pour faire vivre au quotidien leur patrimoine linguistique.
Je rappelle enfin car cela me semble important, que comme les autres peuples, les peuples autochtones ont droit à leur langue comme cela est affirmé par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et notamment son article 13 qui stipule que « les peuples autochtones ont le droit de revivifier, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur langue, leurs traditions orales, leur système d’écriture et leur littérature ». Les articles 14 et 16 indiquent que « les peuples autochtones ont le droit d’établir leurs propres systèmes scolaires et médias dans leur propre langue et d’accéder à
l’enseignement dans leur propre langue » et que « les États doivent prendre des mesures efficaces pour protéger ces droits ».

L’année 2019 des langues autochtones doit donc être à mon avis, une façon, un moyen d’assurer le suivi, c’est-à-dire la concrétisation des droits linguistiques des peuples autochtones, conformément au vœu de l’assemblée des Nations Unies. Je souhaite donc plein succès à cette journée et à l’année des langues autochtones et espère qu’elle soit une opportunité, un temps
fort qui impulse une dynamique nouvelle en faveur des langues autochtones, en formulant le vœu que cette année se prolonge par une décennie des langues autochtones car l’action pour être fructueuse, doit porter sur le long terme.

Je vous remercie.

Belkacem Lounes

Rédaction Kabyle.com
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