Algérie : une loi dangereuse pour les Amazighs

Le Congrès Mondial Amazigh adresse une lettre aux instances internationales pour les alerter du «grave danger que représente la nouvelle loi algérienne modifiant le code pénal, pour les Amazighs de ce pays».

Alors que les citoyens vivent dans l’angoisse suscitée par la pandémie du coronavirus et qu’ils attendent que le gouvernement agisse avec efficacité pour contrer ce danger mortel et garantir l’accès de tous aux produits de première nécessité comme la santé et l’alimentation, les autorités algériennes n’ont pas trouvé mieux que de décider d’adopter le 20 avril 2020, un projet de loi modifiant et complétant l’ordonnance n° 66-156 du 08 juin 1966 portant code pénal.

Le gouvernement algérien justifie ce projet de loi par la nécessité de «criminaliser les actes menaçant la sécurité et la stabilité du pays, l’ordre et la sécurité publics, l’atteinte à la sûreté de l’Etat et à l’unité nationale».

Ce projet a ensuite été immédiatement transmis au Parlement qui l’a approuvé le 22 avril 2020 lors d’une session restreinte et sans débat général. Ce texte a donc été adopté dans des conditions non démocratiques puisque la majorité des députés n’ont pas pu participer à cette session restreinte du Parlement. Un certain nombre d’entre eux ont d’ailleurs sévèrement critiqué le fait qu’une loi aussi importante ait été entérinée dans la précipitation et sans débat approfondi. Par ailleurs, dans le contexte de confinement général des populations, on se demande qui pourrait bien menacer la stabilité du pays, la sûreté de l’État et l’unité nationale, et en quoi cette prétendue menace aurait un caractère d’urgence?

Mais ce qui inquiète le plus le Congrès Mondial Amazigh (CMA), ONG de protection et de promotion des droits individuels et collectifs des Amazighs, ce sont notamment les dispositions suivantes de la loi :

L’article 2 prévoit «une peine de cinq (5) à sept (7) ans de prison et une amende de 500.000 à 700.000 Dinars algériens, quiconque reçoit de l’argent, un cadeau ou un avantage, par quelque moyen que ce soit, de la part d’un Etat, d’une institution, ou instance publique ou privée, ou de toute personne physique ou morale, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, dans le but d’entreprendre des actes qui pourraient nuire à la sûreté de l’État et la stabilité de ses institutions, ou à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale.

Ces peines sont doublées si les sommes d’argent sont reçues par une association, ou une assemblée ou organisation, quels que soient sa forme et son nom».

Or, pour les Amazighs la solidarité et l’entraide intra et intercommunautaire sont des valeurs
fondamentales et des actes naturels de la vie quotidienne. Aujourd’hui, en cette période de pandémie du coronavirus, tout le monde reconnait que c’est grâce à la solidarité déployée par les assemblées traditionnelles amazighes et les comités de villages et de quartiers mais aussi les associations ainsi que les bonnes volontés, que le nombre de victimes du covid-19 a été aussi largement limité.

Les moyens mis en œuvre par les Amazighs pour agir en faveur de l’intérêt collectif ont toujours été fournis par des fonds réunis auprès des membres de la communauté, qu’ils vivent sur le territoire ou dans d’autres régions du pays ou à l’étranger. Les émigrés Amazighs forment une pièce maitresse de leurs communautés d’origine et leurs apports sont indispensables à la vie de leurs territoires avec lesquels ils maintiennent des relations soutenues et permanentes. En conséquence, l’article 2 de cette loi est très dangereux pour les
Amazighs car il peut être utilisé pour leur interdire de recevoir les contributions de leurs frères vivant ailleurs, ce qui porterait un coup sévère au fait et à l’esprit solidaires qui font partie de leur culture.

Ce serait alors une atteinte grave au mode de vie et par conséquent à la vie des communautés et du peuple amazighs. Cela est tout simplement inconcevable et inacceptable.

Il est important de signaler que nos craintes sont malheureusement bien fondées car nous avons déjà recensé un grand nombre de cas où, bien avant l’adoption de cette loi, les autorités locales (particulièrement les chefs de la police et de la gendarmerie) ont adressé des messages clairs aux personnes et organisations locales amazighes, les menaçant de poursuites pour «activités illégales» et même de «terrorisme», pour avoir reçu des aides des membres de leur communauté installés à l’étranger.

Pourtant, ces aides ont servi à financer la réalisation de projets d’intérêt général tels que mettre en place un réseau d’alimentation en eau potable, acheter une ambulance, rénover une école, venir en aide aux plus vulnérables, etc. Ces projets sont toujours décidés et contrôlés selon les principes de la démocratie locale amazighe.

Ainsi, de manière arbitraire et agressive, le gouvernement algérien et ses représentants locaux cherchent en permanence à décourager l’esprit d’initiative et les actes citoyens, à détruire les structures coutumières amazighes et leur autonomie traditionnelle vis-à-vis de l’appareil Étatique. Cela aussi est inacceptable et doit être énergiquement dénoncé.

Les communautés amazighes et leurs institutions ont besoin de reconnaissance et de respect et cela implique entre autres, le retrait de cette loi ou l’exemption de son application dans les territoires amazighs (Kabylie, Aurès, Mzab, pays Kel-Tamsheq…).

L’article 3 relatif à la diffusion de «fausses informations» qui porteraient «atteinte à la sécurité et à l’ordre publics» ainsi qu’à «la sûreté de l’Etat et à l’unité nationale», fixe des peines de une à trois années de prison et une amende de 100.000 à 300.000 Dinars. Ces peines sont doublées en cas de récidive.

Comme le notent de nombreux juristes et les ONG Amnesty International et Reporters sans frontières (RSF), «cette loi très floue est liberticide car elle ne vise rien d’autre qu’à museler la presse et à interdire la liberté d’opinion et d’expression».

Le Congrès Mondial Amazigh dénonce et rejette avec force cet article car il aura pour effet de criminaliser tous les acteurs amazighs qui oseront exprimer leur opinion, dénoncer les violations des droits humains et les abus de pouvoir, ou encore revendiquer ou seulement sensibiliser les citoyens à leurs droits et libertés et notamment à leur droit à l’autodétermination.

C’était déjà le cas bien avant l’adoption de cette nouvelle loi : Youcef Ould Dada citoyen At-Mzab, a été condamné en juin 2014 à deux ans de prison ferme pour avoir filmé et diffusé une vidéo montrant trois policiers algériens entrain de piller un magasin à Guerara ; Slimane Bouhafs, citoyen Kabyle a été condamné en 2016 à trois ans de prison ferme pour s’être converti au christianisme ; Merzoug Touati, jeune blogueur Kabyle a été condamné en 2017 à dix ans de prison pour avoir publié un entretien avec un citoyen israélien, peine ramenée à 7 ans, puis enfin à cinq ans ; Kamel-Eddine Fekhar, médecin et défenseur des droits du peuple At-Mzab, est mort en prison le 28 mai 2019, victime de l’acharnement judiciaire et policier et des dizaines d’autres citoyens At-Mzab ont été contraints à l’exil ; plus de quarante citoyens Kabyles ont été arrêtés et condamnés en 2019, juste pour avoir porté publiquement le drapeau amazigh, d’autres sont privés de passeports et des centaines d’autres subissent le harcèlement des services de sécurité de l’Etat algérien à cause de leurs opinions politiques.

Tout cela sans base légale et en violation de la Constitution, notamment ses articles 38, 42, 48 et 50 et des Traités internationaux et régionaux ratifiés par l’Algérie.

Pour le Congrès Mondial Amazigh, cette nouvelle loi qui durcit l’arsenal répressif algérien est
particulièrement dangereuse pour les Amazighs et porteuse d’instabilité pour tout le pays.

Aussi, nous demandons instamment à tous les organes de l’ONU et de l’UA d’agir sans délai et
fermement auprès du gouvernement algérien, dans le but de protéger et de faire respecter les droits et les libertés des Amazighs de ce pays (notamment les Kabyles, les Chawis, les At-Mzab, les Kel-Tamasheq…) conformément aux principes et instruments juridiques internationaux et régionaux et en particulier la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Paris, 18/04/2970 – 30/04/2020
Le Bureau du CMA

Communiqué adressé aux Rapporteurs Spéciaux de l’ONU pour les défenseurs des droits de l’Homme, pour les droits culturels, pour la liberté d’opinion et d’expression, pour la lutte contre le racisme, pour la liberté de religion et de conviction, pour les droits des peuples autochtones, le Président du Comité des Droits de l’Homme, la Présidente de la Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples de l’UA, les Rapporteurs Spéciaux de l’UA.

Rédaction Kabyle.com
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16 commentaires

  1. Cher Idir nous savons tous que la liberté ne se donne pas qui n’est pas aussi par le mérite mais sa se conquit par le sang des uns pour que les générations suivantes puissent vivre dans leurs propre liberté .
    La grande question qui commence ?
    En lisant certaines presses et surtout certains contemporains de l’époque de la libération du pays les Maquisards Kabyles de l’époque avaient décrites un impôt de libération qui doit être payer par tous les Kabyles selon les moyens de chacun en particulier les plus Riches ! pour se libérer du joug des colons Français de l’époque donc sept après l’indépendance hélas usurpée . Dont à ce propos il n,y a pas d’indépendance sans liberté « pour avoir la PAIX il faut faire la guerre !!
    (Des milliardaires Kabyles se cachent derrière leurs petit doigt ….

  2. Avez vous déjà vu une liberté qui s’est donnée sans combat ?
    Vous savez maintenant ce qui nous reste à faire.
    Les voies pacifiques commencent à s’épuiser.

  3. Ma réaction ce jour n’est pas pour la loi liberticide contre les Amazighs à laquelle nous sommes habitués depuis 15 siècles! Mais le décès de notre grand pilier de la culture Kabyles IDIR hier soir 03/04/2020 quelle perte pour la mémoire culturelle et historique de notre passé et du présent. A mon avis pour lui rendre hommage tous ceux qui possèdent un drapeau Berbères qu’il attache à sa fenêtre avec un foulard noir pour marquer sa disparition physique mais qui restera dans nos mémoires.
    Que les dieux de nos ancêtres t’accueille comme tu le mérites « Pas la soumission cruelle « 

  4. Azul Fellawen,
    En tant que Amazigh Franco-Marocain, qu’est ce que je peux faire pour vous aider ?

  5. Teboune est en train de creuser sa tombe. Au lieu de s’occuper du peuple comme font les autres Présidents pour éradiquer la pandémie
    du covid 19. Il profite de enlèvement de ces moments de détresses pour accoucher des lois bidons.
    CE QUE DIT DIT SE TEB TEB NE NOUS NUIE PAS?IL NE FAIT QUE VOUS RENFORCER. VIVE IMAZIGHENS DE TOUTE TAMAZGHA.

  6. Ils ont peur c est pour ça qu ils se planquent derriere des soit disant loi j ai remarqué qu il y a beaucoup de 66666 dans ce code chiffre du diable ils ont peur que vous montez une armé comme on a fait nous les rifains alors n importe quel pretecste est bon ont est avec vous nous les rifains mes freres azul

  7. Il y a, certes, du vrai dans cette histoire mais cela déborde trop pour ne pas cacher d’autres ingrédients « non déclarés » !

  8. Il nous ne reste plus que les armes qui libèrent les peuples quitte même à vendre notre âme au diable./ Naya deg wawal.Le pacifisme a atteint ses limites.

  9. Si positif parce que sa va que nous renforcer ils peuvent pas nous mettre tous en prison vive thamazgha vive thilalli et vaincre ou mourir le combat continue to be or not to be

  10. Aussi longtemps que je vivrais, aussi longtemps que je le pourrais, et surtout, surtout aussi longtemps que ma KABYLIE aura besoin de moi, je l’aiderais par tous mes moyens. N’en déplaise aux racistes du pouvoir dictateur, assassin, voleur, puant, haineux, corrompu et corrupteur algérien.

  11. C’est le moment de passer au plus dure c’est de la colonisation tout court c’est clair….. alors c’est une occasion de nous libérer définitivement….

  12. Encore une autre loi à 2 balles instaurée par les racistes et anti-kabyles
    Quoi qu’ils fassent ils ne réussiront jamais à nous diviser nous le peuple Amazigh plus fort que jamais
    Depuis les premières invasions personne n’a réussi à nous vaincre et maintenant ce n’est pas à cause des mouches à merde qu’on va sombrer dans le silence notre combat est infatigable et tôt ou tard la raison reviendra à celui qui l’a mérité.
    Vive Imazighen soyons tous unis et forts mes frères et sœurs nous vaincerons ces cafards parasites qui pullulent sur nos terrains

  13. Nous verrons la réaction du reste des algériens lorsque les kabyles manifesteront pour le 20 avril, pour le printemps noir ou quand les associations activeront pour améliorer la situation des citoyens, ou combattre le salafisme ou réclamer des projets à la place des casernes ou des mosqués

    et dire que certains pensent que tous les algériens ont le même traitement
    non et mille fois non….car la culture et la langue menacées de disparaître c’est la culture kabyle (amazigh) et pas la culture arabe

    Réveillons nous ayathmathanes et athismathines (frères et sœurs) …et agissons pour notre Kabylie avec l’urgence d’une autonomie voire carrément l’indépendance

  14. Encore une loi liberticide et répressive dans le but de criminaliser la liberté de pensée, et d’éradiquer dans l’œuf toute forme de contestation pacifique, sous prétexte d’un prétendu complot et de la déstabilisation d’une fausse unité nationale qui n’a jamais existé. En réalité la caste dirigeante élue par personne, ou presque, s’accroche à ses priviléges. Ceux qui ont confisqué le pouvoir en 1962 et leurs descendants et héritiers, sont responsables de ce désastre économique et social, de la mauvaise gouvernance, de la mauvaise gestion, de la dilapidation des fonds publics, de l’octroi de priviléges et de passe-droit, de l’absence de développement, de la salafisation de la société, de la corruption généralisée, de la déroute du système d’instruction et d’éducation littéralement gangrèné par les islamistes, du chômage de masse, et de la misère.

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